Etre femme dans l'Algérie d'aujourd'hui

Jeune Afrique, 30 juillet 2007

(Version originale de l'auteur)

Photo: mena-post.com

Il est 14h sur la place Abdelkader au centre d’Alger. Deux jeunes filles traversent le rond-point sous le soleil, leurs mèches de cheveux rebelles saluent au passage la statue du héros national. Une troisième les rejoint au pas de course, réajustant son voile bleu turquoise. Toutes trois portent un jean serré et n’ont pas lésiné sur le maquillage. Comme en Europe, le port du pantalon taille basse s’est imposé mais le nombril est préservé du regard par la tunique ou un T-shirt pastel. En sens contraire, une femme d’un âge plus avancé déambule nonchalamment sous son niqab noir, qui lui couvre une partie du visage. Dans sa main un grand sachet bleu affichant la marque Lewis lui sert de balancier. Une autre jeune fille en dos-nu sort de la Librairie du Tiers monde au bras de son petit ami en pouffant de rire, évitant de justesse une petite fille en trottinette rose, qui dévale la pente en direction du port.

En journée, les rues de la capitale offrent le spectacle d’une Algérie diversifiée, celle où les femmes réoccupent peu à peu l’espace public. Contrairement aux hommes, elles se meuvent, ont une destination. Rester statique, « tenir les murs » ou lire le journal adossé à un arbre, est un passe-temps masculin : les hommes observent, les femmes sont observées. Plus loin, en face du Quick, nouveau fast-food à succès, une terrasse de café attire exceptionnellement la gent féminine, vendeur de glaces oblige. Safia s’y est attablée avec son premier né et attend son mari parti depuis 20 mn garer la voiture familiale à plusieurs centaines de mètres. Elle est médecin de formation à Oran, son mari pneumologue. Ce mardi, elle vient de faire 400 km pour faire changer son affectation. «Pour généraliser l’accès aux soins, on nous répartit maintenant sur tout le territoire et moi j’ai été nommée à plus 140 km de mon domicile !! ».

Certains secteurs de la haute administration n’imposent désormais plus seulement aux hommes mais également aux femmes des affectations loin de leur zone de résidence, confirme la sociologue Dalila Lamarène Djerbal (1). Mais si les habitudes évoluent, la crise économique y a largement contribué. « Dans la société traditionnelle, la mère et la sœur restent à la maison. Dehors, c’est la prostituée », explique un psychiatre : « Mais aujourd’hui, en raison de la pauvreté, les jeunes filles sortent du clan pour aller travailler. Quand un père a 3 ou 4 filles qui apportent des revenus, il les laisse volontiers sortir, aller à Tamanrasset s’il le faut ; elles paient les charges, le loyer, les meubles, la voiture ».

Aïcha a 25 ans et fréquente une salle de sport à 1000 dinars par mois (10 euros). Elle tient un magasin avec son frère. Au volant de sa Renault toute neuve, elle fume, klaxonne, téléphone. Sa conduite est sportive, elle est confiante dans l’avenir. Trop jeune, elle n’a pas eu le temps de perdre comme son frère aîné 4 millions de dinars dans la banque Khalifa. « Je ne suis pas pressée de me marier », affirme-t-elle en baissant machinalement sa vitre teintée – procédure habituelle à l’approche d’un barrage de policiers. Ce mercredi soir, veille de week end, elle se rend avec Mounia au Pacha, la discothèque de l’hôtel Djazaïr. « C’est DJ Michael qui anime la soirée ! ».

Mounia, 30 ans, célibataire, est éducatrice sportive dans un club étatique, après avoir pratiqué le volley-ball de haut niveau. Elle habite le centre d’Alger avec ses parents et deux de ses 9 frères et sœurs – l’une d’elles habite Paris et lui envoie des habits à la mode. Ses parents font les allers-retours Bejaïa-Alger et sont souvent absents. Elle est indépendante et s’assume financièrement. Son rêve de sportive s’étant réalisé, son avenir, « ce serait peut-être… non... enfin… je ne sais pas… disons un bon mari et des enfants, j’adore les enfants. Mais il doit être gentil, comprendre les choses, être sincère. L’argent je m’en fiche. Mais en Algérie, c’est rare de tomber sur un homme qui respecte la femme. Ça existe mais c’est rare ».

Après le travail elle sort dîner avec ses copines ou va faire un tour au bar karaoké Le Moonlight. On n’y sert pas d’alcool, mais des milk-shakes. L’étage mansardé où la clientèle pousse la chansonnette (des airs anglo-saxons essentiellement), ressemble à un petit salon cosy, avec lambris et peintures contemporaines aux murs. Mounia aime aussi prendre son café au Marina, près du Sacré Cœur et lire des magasines sur la vie des stars. « Ce que je préfère c’est Paris Match ! ». Quant à l’évolution des droits de la femmes ou l’amendement du Code de la famille en 2005, elle n’a « pas trop suivi l’affaire».

Comme tous les Algériens, elle a vécu son lot de drames durant les années noires. Sa meilleure amie, qui comme elle refusait le port du voile, a pris sept balles dans le dos mais a survécu, contrairement à ses deux accompagnatrices ce jour-là. « L’Algérie change mais il faut sortir davantage le soir pour obliger les mentalités à bouger ».

Le bouleversement général des rapports sociaux se fait cependant aussi dans la douleur, comme l’ont montré en juillet 2001 les violents raids de Hassi Messaoud, région du sud à 700 km d’Alger. Des contrats pétroliers y avaient attiré beaucoup de travailleurs dont des femmes, indépendantes, chefs de famille avec des responsabilités sociales. Coupées de leur environnement d’origine et logeant seules en l’absence de contrôle masculin, leur autonomie financière et leur visibilité constituèrent une transgression des normes intolérable pour l’imam local et le voisinage. Après la prière du vendredi, et durant deux longues nuits, elles furent victimes d’une opération « d’épuration » particulièrement brutale, frappées, poignardées, violées, taxées de « prostituées ». Sur plusieurs centaines d’agresseurs 3 seulement ont été condamnés à des peines de prison… « Elles n’auraient jamais connu de telles violences si elles avaient vraiment été des prostituées affirme Mme Lamarène Djerbal car elles auraient eu une place reconnue dans le fonctionnement social » (1). Dans les discrètes arrière-salles des « salons de thé » de la rue Didouche, elles sont en effet moins inquiétées…

Les femmes constituent aujourd’hui 58% des inscrits à l’Université (contre 39% en 1990) et 61% des bac+3, essentiellement dans les Sciences humaines. Cette année, les lycéennes ont d’ailleurs représenté 63% des reçus au baccalauréat ! Qualifiées, elles occupent désormais des postes à responsabilité dans la petite entreprise et les services, sont magistrates, médecins, enseignantes, journalistes, serveuses, vendeuses, etc. Mais leur part dans la population salariée reste faible : 17,5% en 2004.

« Dans les campagnes, les possibilités sont plus restreintes, ajoute Meriem Bellala, présidente de SOS femmes en détresse : « Etre employée de maison, activité classique des femmes non qualifiées en ville n’est pas possible car la voisine est comme vous ; il y a moins de différences de classes ». « En milieu rural, on absorbe pourtant une masse de travail plus grande que les citadines mais dans le cadre informel, peu reconnu », indique Djaouida Lassel, ingénieure agronome qui dirige l’Association Lalla N’fissa pour la promotion de la femme rurale de Blida. « Ici, quand les enfants arrivent en 6e, on privilégie l’éducation des garçons, à cause de la pauvreté. Les filles préparent les galettes ou les œufs et vont les vendre sur les sites touristiques. Nous nous battons pour qu’elles continuent l’école », poursuit-elle.

Sur le plan politique, beaucoup de femmes ont milité dans le milieu associatif mais quelques unes seulement se sont imposées politiquement. Leur nombre au sein de l’Assemblée populaire nationale a même diminué de 27 à 22, sur 389 députés.

Les femmes maîtrisent cependant davantage leur vie familiale. « Aujourd’hui elles recourent en masse à la contraception, il y a une véritable baisse de la natalité », rapporte une sage-femme : « Les hommes sont pour, même les islamistes, et accompagnent souvent leurs épouses. Les filles viennent prendre la pilule à partir de 24 ans et la reçoivent gratuitement à la polyclinique ».

Mais le mariage demeure le seul cadre légal des relations sexuelles et les couples « officieux » se font discrets. Crise du logement oblige, certains se retrouvent derrière des bosquets, sur le bord de l’autoroute, dans des cinémas. Fatima, 19 ans vient de Relizane à 300 km à l’ouest d’Alger. Enceinte à 17 ans, ses parents l’ont renvoyée de la maison. Elle est aujourd’hui l’une des pensionnaires de SOS Femmes en détresse (cf. encadré). Son père retraité d’une usine de charbon en France était prêt à lui fournir un logement mais sa mère, pourtant libre de comportement, a vécu les événements comme une remise en cause personnelle. « Elle a entamé une procédure judiciaire contre mon ex-ami, 24 ans, et changé d’adresse ». Fatima a accouché sous X et rompu le contact avec sa famille dont ses 8 frères et sœurs.

Les naissances hors-mariage restent taboues et l’existence des mères célibataire n’est même pas reconnue juridiquement. Le code de la famille permet le test de paternité mais… dans le cadre du mariage. Autrement dit, non pas pour obliger un père à reconnaître son enfant mais pour lever les soupçons d’adultère sur la femme mariée. Ces dernières ne peuvent d’ailleurs plus vraiment recourir au subterfuge traditionnel de « l’enfant endormi », croyance qui permettait de faire accepter une naissance malgré la longue absence du « père », en prétendant que la grossesse a été plus longue (parfois jusqu’à 3 ans !). Quant à l’avortement, il reste clandestin et fortement pénalisé. C’est un marché lucratif qui se pratique dans le secret des cabinets privés ou en CHU au prix de 200 voire 600 euros (4 fois le SMIC).

« Le carcan moral et religieux demeure lourd. Les femmes somatisent et vivent leurs problèmes comme des malaises physiques. Mais elles sont surtout malades de la belle-mère ! », affirme le psychiatre. La crise du logement oblige en effet à vivre en communauté dans des F4-F5, et repousse l’âge du mariage. C’est aujourd’hui un logement ou une voiture que les fiancées réclament, bien plus que des bijoux

Beaucoup d’hommes, d’ailleurs, ont du mal à trouver leurs repères dans un cadre référentiel en pleine mutation. Alors que le code de la famille imposait aux épouses obéissance et soumission, et gratifiaient les hommes de la mission valorisante de protecteur, les voilà dépassés par la pauvreté et par leur propre soulagement de voir les femmes se prendre en charge. « Les hommes en profitent parfois pour se débarrasser de leurs responsabilités », commente une infirmière : « ils achètent une voiture à leurs épouses et ce sont elles qui vont faire les courses, emmènent les enfants à l’école, etc. ». Les garçons n’en sont pas pour autant débarrassés des traditions car pour « sortir » une fille, ils sont toujours tenus de fournir le véhicule, payer le restaurant, couvrir les frais. «Le matériel est très important chez beaucoup de filles : s’habiller, avoir un look, un portable, une voiture», commente Meriem Bellala : « Ce qui est à la mode c’est connaître quelqu’un qui vous offre des cadeaux. Celle qui sort avec un garçon sans le sou est une ringarde… ».

Hanan, divorcée et mère d’une petite fille de 6 ans habite seule (chose rare) et vient d’ouvrir une cafétéria dans le quartier chic de Ben Aknoun. « Si on assume à fond ses choix de comportement, on peut vraiment vivre, sortir, s’habiller, comme on l’entend en Algérie », affirme-t-elle. « Mais professionnellement, j’ai encore du mal à me faire obéir de mes employés masculins », reconnaît-elle. Quant à Mounia, l’éducatrice sportive, elle se plaint surtout de « la routine ». « On fait toujours les mêmes choses, on voit les mêmes endroits et surtout, on ne peut pas voyager, voir un peu le monde avec un groupe d’amis. On n’obtient pas de visa et c’est très angoissant ! On se sent enfermés et cela me dérange presque plus que le conservatisme ambiant ».

(1) « Femmes et citoyenneté », Naqd, Revue d’études et de critiques sociales, 2006.

Nathalie Gillet, envoyée spéciale à Alger

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ENCADRE n°1 :

Un mouvement associatif fatigué

Le mouvement associatif féminin a traversé un parcours tumultueux depuis l’ouverture politique de 1989-92. Extrêmement politisées dans les années 1990, souvent le prolongement de partis de gauche (prêtant le flan aux islamistes), le nombre des associations se compte aujourd’hui sur les doigts d’une main.

Nadia Ait Zaï juriste et enseignante à la faculté de Ben-Aknoun a créé en 2002 le Centre d’information et de documentation sur les droits de l’enfance et des femmes (CIDDEF), installé au pied de l’église du Sacré Cœur à Alger : « Le but à long terme est de modifier le droit mais la priorité c’est le fond documentaire composé actuellement de 4000 ouvrages sur la condition féminine. Avant nous étions au stade de slogans et avons mis 20 ans à modifier le Code de la famille en 2005. Il s’agit maintenant d’argumenter. Le CIDDEF est un lieu pour les associations de toutes sensibilités politiques ».

Ourida Chouaki : enseignante et chercheuse spécialisée dans la physique des plasmas est une militante de longue date. Elle est membre fondatrice de Tharwa N’Fadhma N’Soumer créée en 1997 pour faire abroger le Code de la famille de 1984. « On a mené une campagne appelée 20 ans barakat, avec des collectifs d’associations en France et en Algérie. L’état d’urgence interdisant les rassemblement, la seule façon de toucher les gens a été les médias mais il ne nous a pas été permis de passer des clips à la télévision». Déçue par les amendements de 2005, la principale avancée qu’elle leur reconnaisse, c’est d’avoir désacralisé le texte humiliant de 1984. Mais beaucoup de femmes en réalité ne connaissent ni l’ancien ni le nouveau code. « Dans les campagnes les femmes n’en parlent pas », affirme Djaouida Lassel, « de toute façon, en milieu rural on ne divorce pas, c’est le destin ».

« Les discriminations ne sont pas seulement d’ordre juridique mais aussi social », nuance Meriem Bellala de SOS Femmes en détresse. « On ne peut pas demander à celles qui n’ont rien de se battre pour l’égalité homme-femme, c’est absurde ! La majorité ne sont pas des intellectuelles et disent : quand l’ex-mari n’a pas de revenus ça ne sert à rien de le mettre en prison. Après le divorce, l’homme est tenu de fournir un logement. Mais dans la réalité, quand il gagne le SMIC, comment peut-il louer quoi que ce soit en Algérie aujourd’hui ? Il trouve alors un studio dans un quartier de banlieue éloigné et quand sa femme s’en émeut, le juge lui répondra : « Vous avez un logement, de quoi vous plaignez-vous ? » Ce qui manque c’est une vraie politique sociale pour les femmes chef de famille et ne pas renvoyer les gens dos à dos ».

Sur les hauteurs d’Alger, au détour d’une allée de pins, elle dirige un foyer de femmes et un centre d’écoute, ouverts depuis 1992. A l’étage de la maison en préfabriqué, les chambres d’une douzaine de pensionnaires, victimes de violences ; au rez-de-chaussée, 3 ateliers de formation accueillent également des externes. Dans la salle informatique, une jeune femme peaufine son CV, l’autre prépare des cartes de visite pour un mariage dans un bidonville. Dans une pièce à côté, deux autres manipulent un métier à tisser et discutent couleur, comment allier le moderne et le traditionnel. « Les femmes qui viennent chez nous doivent repartir avec quelque chose. Ce sont souvent des moments forts car elles découvrent des côtés artistiques qu’elles ne soupçonnaient pas, de la valeur. On leur apprend à travailler chez elles et à partir de ce qu’elles ont déjà (du temps, une baraque, par exemple) ».

« Les autorités publiques ne nous facilitent pas la tâche, regrette-t-elle. Les associations sont perçues comme un contre-pouvoir, ou comme antinationales parce qu’elles mettent le doigt sur les insuffisances. On a cru à beaucoup de choses, à un idéal démocratique. C’était si fort !! Mais après les désillusions, l’engouement est retombé comme un soufflet». NG

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ENCADRE 2 :

Amendements au Code de la famille en 2005 :

Malgré la compréhensible déception des féministes prônant la suppression du rétrograde Code de la Famille de 1984, les amendements de février 2005 ont apporté des avancées.

       - levée de l’obligation d’obéissance au mari

       - suppression de l’interdiction d’épouser un non-musulman.

    - Le mariage religieux vient après le mariage civil : il n’est plus possible de se contenter de réciter une prière en comité restreint, il faut désormais présenter son livret de famille. Les islamistes ont abusé de la procédure : après répudiation, les femmes se retrouvaient sans preuve écrite de mariage et devenaient mères célibataires de fait.

     - La présence d’un tuteur a été maintenue pour le mariage d’une femme mais celle-ci peut le choisir. « Le tuteur a aussi changé de rôle : il ne conclut pas le mariage, qui dépend du consentement des deux personnes, mais devient une sorte de 3e témoin pour la fille majeure », précise Nadia Ait Zai. Reste qu’à l’encontre de toute législation, certains officiers d’état civil exigent toujours la présence du père. Les témoins ne peuvent en outre porter le même nom. « Moi, je ne me vois pas choisir quelqu’un d’autre que mon père, comme tuteur », avoue Nora, 25 ans, qui gère un magasin de vêtements de soirée. « Ce serait irrespectueux envers lui ».

      - Divorce : il est obligatoire de passer devant un juge civil. Quand la femme a la garde des enfants (cas le plus fréquent) l’époux est tenu de fournir un logement et une pension alimentaire. Trois motifs de divorce supplémentaires ont été mis à disposition des femmes : violation des clauses du contrat (tel le droit au travail ou la monogamie), mésentente (difficile à prouver) et violence. Mais les femmes qui veulent divorcer sans l’aval du mari doivent verser une somme d’argent équivalente au montant de la dot et abandonner des droits.

    - L’Autorité parentale est désormais conjointe mais le père reste le tuteur des enfants. La veuve peut cependant être tutrice, ce qui n’était pas le cas.

       - La polygamie a été restreinte par l’obligation d’autorisation du juge.

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ENCADRE 3 :

Quelques chiffres

Population                                         : 33,5 millions en 2006.

Part de femmes                                  : 53%

Nombre de moins de 15 ans                  : 30%

Taux d’accroissement de la population  : 1,78%

Nombre d’enfants par femme (2000-05)   : 2,5

Usage de moyens de contraception modernes : 51% des femmes mariées.

Espérance de vie                                 : femmes = 72,7 ans / hommes = 70,1 ans

Taux d’alphabétisation                         : femmes = 60,1 / hommes = 79,6

Taux d’activité salarié des femmes         : 17,4%

Age moyen des femmes au 1er mariage   : 29 ans en 2002.

Nombre de femmes fonctionnaires         : 26,8% de 1,45 million en 2003

        (dont 48,2% dans l’Education Nationale et 20,2% dans la Santé Publique)

Nombre de femmes magistrates             : 953 sur 2841 (33,5%)

Nombre de femmes députées                : 22 sur 389 (contre 27 avant)

 

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Algérie : Fiche pays 2008
Pays riche, peuple pauvre, institutions à la dérive

Jeune Afrique, Hors-série Etat de l'Afrique 2008, Février 2008

L’Algérie confirme d’année en année ce terrible paradoxe. Ses recettes en devises avoisinent les 60 milliards de dollars, sa dette externe et interne a été assainie et le matelas de réserves de changes frôle les 100 milliards de dollars. Et pourtant, malgré l’aisance financière, l’économie refuse de décoller. En 2007, la croissance réelle de l’Algérie a été estimée à 3,4%, contre 5% en 2004 et 2005, et 1,7 en 2006. C’est moins que les 5,2% prévus, bien moins aussi que dans les pays voisins : Tunisie, Egypte, voire Maroc quand il pleut. Ces pays ne disposent pas des mêmes richesses minières mais ont su diversifier leurs économies.
Où va donc l’argent de ce si pétrole si éphémère ? Au nom de l’assainissement des finances publiques, une forte austérité est imposée à la population. On thésaurise ! Le niveau de réserves de change en devient presque indécent. Où est-il investi, qu’attend l’Algérie pour créer un fonds souverain comme la plupart des pays pétroliers pour placer ses actifs sur les marchés internationaux et dans des entreprises.
Certes de vastes projets d’infrastructures ont été lancés : travaux publics, bâtiment - près de 35 000 Chinois y travaillent jour et nuit - hydraulique, transport, mégaprojet émirati destiné à réhabiliter la baie d’Alger. La capitale se transforme et de nouvelles enseignes apparaissent. Un pôle urbain moderne dénommé « Alger Médina » devrait offrir un centre commercial comprenant un supermarché Carrefour, une chaîne de grands magasins, des espaces de bureaux et un parking automobiles de plus de 4000 places. Mais le projet le plus attendu en 2008 est le métro d’Alger, qui avec le futur tramway permettrait, enfin, de donner un peu de souffle au trafic automobile. On l’annonce pour septembre prochain.
Dans le secteur bancaire et financier en cours de restructuration, publique à 90%, l’année 2008 devrait permettre la reprise de la privatisation du Crédit Populaire d’Algérie (CPA), interrompue faute de combattants. Sur les six banques internationales préqualifiées, l’une s’est retirée définitivement du processus (l’espagnole Santander), une autre a décidé de se retirer « momentanément » pour assumer ses pertes liées à la crises des subprime aux Etats-Unis (l’américaine Citibank), tandis que le Crédit agricole a demandé le report de la date limite de remise des offres. Résultat, l’opération a été gelée en attendant des jours meilleurs. L’Algérie ne manque pourtant pas d’attractivité si l’on en juge par le nombre de banques étrangères qui se sont installées ces deux dernières années.
Alors pourquoi cela ne marche-t-il pas ? L’économie reste suspendue aux cours du baril du pétrole et subit douloureusement sa dépendance alimentaire, face au renchérissement des cours des matières premières sur le marché international. A cela s’ajoute une baisse de la production d’hydrocarbures, amorcée en 2007 et qui se répercute sur le taux de croissance. Le pays, en outre oublie d’investir dans ses ressources humaines et les entreprises peinent a trouver du personne qualifie, alors que le taux de chômage parmi les jeunes est fortement élevé.
Il devient urgent de favoriser la constitution d’un vrai tissu industriel et de PME, de stimuler l’initiative individuelle. Même la Libye, tant raillée par ses voisins et qui est loin d’être un modèle de démocratie, a réussi ces derniers temps à susciter un vrai dynamisme qui a entraîné une forme d’optimisme et d’enthousiasme général. En Algérie, c’est la chape de plomb. Le foncier, le crédit, les règles de droits, le transport, l’accès basique à l’eau et l’électricité pose toujours problème.
En outre, puisque la croissance algérienne est aujourd’hui tirée par les investissements publics dans les infrastructures de base, qu’adviendra-t-il une fois ces projets réalisés ?
L’expression désormais consacrée pour qualifier l’Algérie est celle d’un pays riche au peuple pauvre, d’un pays en éternelle transition. Si l’économie algérienne est passée d’un fort taux d’endettement à une situation de forts excédents financiers, son comportement n’a pas beaucoup changé.
Les plans de relogement avancent (près de 500 000 logements construits depuis 2004 pour un objectif de un million d’ici 2009), mais trop lentement et le chômage perdure. Les Algériens voient s’éroder leur pouvoir d’achat tous les jours et les prix augmenter : pomme de terre, lait, semoule, huile de table. L’agriculture stagne : les agriculteurs ne possédant souvent pas leurs terres (collectivisées), ils ne peuvent emprunter pour investir. Comme dans les pays voisins, l’Etat n’a d’autre choix que de subventionner certains produits, notamment la semoule, via une enveloppe de 90 milliards de dinars. On parle également de bidonvilisation galopante dans tout le pays, estimée déjà officiellement à 8% de l’habitat. La nouvelle année pourrait donc bien être, comme en Egypte celle des mouvements sociaux ou des émeutes dites « de la mal-vie », qui déjà éclatent ici et là dans les villes algériennes.
La désillusion est générale à l’égard de la chose politique et des discours officiels souvent trop creux. Les Algériens n’en sont pas moins très avertis, au fait de l’actualité, observateurs lucides (mais impuissants) d’un système corrompu et sclérosé. Cette défiance se traduit par une forte abstention lors des rendez-vous. Seuls 35% des citoyens ont daigné se déplacer pour les législatives du 17 mai dernier, et encore un sur six a voté blanc… Les élections locales du 29 novembre ont connu un taux de participation officiel de 44% seulement. A l’Assemblée populaire nationale le Front de libération nationale a remporte 136 sièges (contre 199 précédemment), soit 30% du total. L’alliance présidentielle au pouvoir, composée du FLN, du Rassemblement national démocratique (RND), d’Ahmed Ouyahia et du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas, islamiste) de Bouguerra Soltani, a perdu 35 sièges passant à 249 sièges. Aux élections municipales en 2007, le FLN a également perdu des sièges mais reste premier du classement (30%), suivi du RND. Le Front national algérien FNA, créé en 1999 par Moussa Touati, 55 ans, fils de chahid et ancien fonctionnaire de la sûreté, qui revendique 300 000 militants (cadres, fonctionnaires, petits commerçants), a créé la surprise, en se hissant à la troisième place (11,29% des sièges aux APC). « Clone » du FLN ? « Parti-écran » qui n’a jamais tenu de congrès et dont les voix servirait d’appoint dans un futur jeu d’alliances électorales ? Touati, qui avait soutenu en 2004 la candidature de Ali Benflis, s’en défend bec et ongle.
Sur le plan politique, en fait, l’année 2008 pourrait bien être une année pour rien. Le débat principal qui s’annonce est celui de la nécessité ou non d’un troisième mandat pour le président Abdelaziz Bouteflika. Le secrétaire général du FLN et également chef du gouvernement, Abdelaziz Belkhadem, mène une campagne tambour battant pour amender la Constitution, notamment l’article 74 qui limite la durée du mandat à cinq ans, renouvelable une seule fois.
Ce jeu périlleux qui déstabiliserait encore davantage le fragile équilibre institutionnel pour donner à un président malade et fatigué une rallonge de cinq années, en vaut-il vraiment la chandelle ? La polémique autour du troisième mandat fragilise en tout cas déjà la coalition présidentielle.
D’autant qu’une telle précampagne semble bien vaine comparée aux urgences sociales. La situation en Algérie n’est donc nullement reluisante. Si le pays s’ouvre quelque peu sur le plan économique le bled se referme sur le plan politique. A l’approche des élections, on pourrait même s’attendre à une mise au pas de la presse, voire à la création de titres de complaisance… Les Algériens attendent de l’Etat des réponses concrètes pour 2008 : revalorisation des salaires, assouplissement des conditions d’accès au logement, à l’emploi… et capacité à sécuriser physiquement ses citoyens.
Nathalie Gillet

ENCADRE
Terrorisme : Alger prend des allures de ville bunker

En plus des difficultés à vivre décemment, c’est un sentiment hélas bien familier qui reprend les Algériens au ventre la veille de tous les 11 du mois : la peur. L’insécurité qui n’était presque plus qu’un mauvais souvenir a pris récemment des formes nouvelles, avec les attentats kamikazes qui ont émaillé 2007. Le 11 avril, deux attaques à la voiture piégée ont visé le palais du gouvernement au cœur d’Alger et un commissariat (32 morts, plus de 200 blessés). Un attentat-suicide a ciblé le 11 juillet une caserne de l’armée à Lakhdaria. A Batna, un attentat a visé le cortège du président Abdelaziz Bouteflika ( !) le 6 septembre, et à Dellys, une caserne de garde-côtes a eu son explosion deux jours plus tard. Enfin, le 11 décembre dernier, c’est le siège du Conseil constitutionnel et celui des Nations unies à Alger qui ont été visés en plus d’un bus d’étudiants.
L’ex-GSPC qui s’en revendique s’est officiellement renommé Branche d’Al Qaïda au Maghreb islamique en janvier 2007. Il a étendu son action aux pays voisins et appelé ouvertement à viser les intérêts étrangers.
La défiance des Algériens à l’égard de leurs institutions est cependant telle que les rumeurs les plus folles circulent. Pour beaucoup, les attentats ne seraient même pas le fait des islamistes mais celui de chapelles militaires désireuses de discréditer la politique controversée de réconciliation nationale, imposée par Bouteflika et qui avait amnistié (et indemnisé !) sans garanties de nombreux assassins notoires…
La capitale est aujourd’hui sous haute surveillance, quadrillées par un déploiement massif de forces de l’ordre qui jalonnent les grands points d’accès au centre-ville. Le coup est dur pour un pays qui a eu tant de mal à faire évolué son image.
NG

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Algérie : classement des entreprises 2007

Jeune Afrique, Hors-Série "Les 500 premières entreprises africaines", novembre 2007

L’Algérie vit de ses hydrocarbures et le prouve encore cette année. Près de 30% du classement est constitué d’entreprises liées à ce secteur. La plupart sont des filiales de la puissante entreprise nationale Sonatrach. Championne toutes catégories, celle-ci est la première et indétrônable entreprise du continent africain. Son chiffre d’affaires insolent de 61 milliards de dollars affiche une hausse de 50%. En pleine période de tension avec l’Espagne, c’est avec l’italien ENI que le géant s’est associé cette année pour la réalisation du futur gazoduc Galsi qui reliera directement l’Algérie à l’Italie en 2011. Début septembre, la compagnie algérienne avait résilié un accord la liant aux espagnols Repsol et Gas Natural sur l’exploitation des gisements gaziers de Gassi Touil dans l’est du pays. Faute de respect des délais par la partie espagnole et en raison des restrictions à l’exportation de gaz imposées, la compagnie avait également remis en cause le projet de gazoduc Medgaz reliant les deux pays et renégocié à la hausse le prix de vente de sa production. La levée en septembre des restrictions à l’export a conduit peu à peu à une accalmie.
Toujours dans les hydrocarbures, Brown & Root –Condor, JV entre Sonatrach et une filiale de l’américain Halliburton disparaîtra dans notre liste l’an prochain. Les violentes polémiques autour de contrats passés de gré à gré par Sonatrach ont provoqué sa dissolution en septembre dernier.
Une bonne dizaine d’entreprises sont liées de près ou de loin au BTP, secteur en plein boom depuis plusieurs années en Algérie. L’entreprise publique Cosider maintient sa 10e place et voit son chiffre augmenter de 34%, stimulé essentiellement par les canalisations et les travaux publics (barrages, métro d'Alger, autoroutes). C’est la seule entreprise publique de BTP à avoir survécu à la vague de dissolutions des années 1990.
En nombre plus limité mais bien placées : les compagnies de téléphonie. L’opérateur de mobile Wataniya Telecom Algérie (alias Nedjma) a gravi 7 places avec un chiffre d’affaires en flèche (+87% en 2006). Depuis mars dernier, il appartient à 80% à Qatar Telecoms, les 20% restant demeurant à Kuwait Projects Company (Kipco). La compagnie se tient encore loin d’Orascom télécom Algérie (marque Djezzy), qui avec plus de 12 millions d’abonnés (contre 2 millions en 2004), conserve les deux bons tiers du marché algérien et affiche lui aussi une hausse de son chiffre de 43%. La licence algérienne constitue d’ailleurs le fleuron de l’activité du groupe égyptien. OTA devance cette année pour la première fois Algérie Télécom, qui chute de 5 places. Malgré les 20 millions d’abonnés (pour 34 millions d’habitants), chacun veut croire encore au potentiel de croissance en comptant sur l’extrême jeunesse du pays et la masse de nouveaux consommateurs sortant des écoles.
Après en avoir été écartée, la place de premier groupe privé d’Algérie revient de nouveau à Cevital (1,4 milliard de dollars de chiffre d’affaires). Le groupe poursuit sa stratégie de diversification et aborde une nouvelle phase de développement : Cap 2015, un projet de pôle industriel géant (cf. infra).
Parmi les autres rares compagnies privées du groupe, le laboratoire privé Biopharm apparaît cette année à la 25e place. Comme les autres opérateurs du secteur, il devra faire face à un marché de plus en plus concurrentiel. Fin octobre, le ministre l’Industrie et de la Promotion des investissements, Abdelhamid Temmar, rappelant les engagements internationaux (accession à l’OMC notamment), a annoncé la fin des mesures de protection. Sa solution : la fusion. L’Etat voudrait faire du groupe public Saidal (35e du classement) un géant capable de s’imposer à l’international. Il semble en tout cas peu probable que les deux ou trois producteurs privés qui se détachent du lot décident de se séparer des laboratoires internationaux avec lesquels ils travaillent pour réaliser cette «fusion» patriotique.
Parmi les quelques baisses de chiffres d’affaires, on remarquera celle de l’’Office national des aliments du bétail ONAB. Plusieurs autres entreprises du secteur agroalimentaire, qui l’an dernier marquaient une tendance décroissante ont disparu cette année du classement.
Nathalie Gillet

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Cevital : Les ambitions d’Issad Rebrab

Jeune Afrique, Hors-série Les 500 premières entreprises africaines, novembre 2007

Quand on parle de Cevital, on parle essentiellement d’un homme : manager hors normes et charismatique, qualifié de « visionnaire extraordinaire » par les uns, « d’entrepreneur responsable » par d’autres – il baisse ses prix pendant le ramadhan quand tout le monde les augmente – de « requin sous des airs affables et un sourire enjôleur » par d’autres encore. Quoiqu’il en soit, Issad Rebrab fascine. Avec une croissance annuelle de ses activités de près de 50% et des projets à la pelle, il sait faire parler de lui. En septembre dernier l’annonce de sa nouvelle lubie, Cap Djinet, a impressionné : construction d’ici 2015 d’un méga-pôle industriel de 5000 ha autour d’un hub portuaire en eau profonde qui viendrait concurrencer TangerMed (cf. encadré). Rien que ça…
Les débuts de cet homme pressé, originaire d’un petit village de Kabylie avaient commencé modestement mais dans des créneaux rentables (construction métallique, sidérurgie). Il décolle en affaires dès les premiers signes d’ouverture économique en Algérie (1986-89) et l’octroi de crédits aux privés algériens. Les choses s’accélèrent avec la démonopolisation du commerce extérieur. On l’autorise à importer du rond à béton. « C’était le temps des pénuries en Algérie. Ce que vous achetiez, vous étiez certain de le vendre le lendemain, parfois le double de son prix ! », explique Nordine Grim, journaliste à El Watan et auteur de l’ouvrage "Les leaders de la nouvelle économie algérienne". « Beaucoup des patrons ont fait leur accumulation primitive de capital à cette époque. Les premiers arrivés ont été les premiers servis » ajoute-t-il.
Contrairement à beaucoup d’autres, Issad Rebrab, expert-comptable de formation, a su faire fructifier son capital et se développer. Son obsession : investir de nouveaux marchés avant tout le monde en introduisant les dernières technologies. Son contrat de concessionnaire exclusif pour la marque d’automobile coréenne Hyundai lui permet dès 1997 de générer une importante trésorerie. Les excédents financiers sont aussitôt réinvestis.
Sa première grande diversification se fait dans l’agroalimentaire avec la création de Cevital en 1998. Il concurrence deux monopoles publics moribonds, dans le raffinage de l’huile (570 000 tonnes/an aujourd’hui) puis celui du sucre (600000 t/an aujourd’hui). « Terminée l’époque de l’huile d’Etat au gout de sardine, stockée dans de méchants bidons, ou le sucre médiocre qu’on obtenait qu’à condition de bien connaître son épicier », se rappelle un internaute. Doté d’un outil industriel performant, Rebrab apporte non seulement une production supplémentaire et de meilleure qualité mais également… du marketing : un bel emballage, de la publicité.
Il innove jusque dans ses moyens de financement. Cevital est la seule entreprise privée de toute l’histoire de l’Algérie à avoir levé un emprunt obligataire (janvier 2006). Il rachète une petite unité d’eau minérale Lalla Khedidja en 2005 ? Qu’à cela ne tienne, elle est modernisée et sa production multipliée par 100, à raison de 120 000 bouteilles/heure aujourd’hui, ajouté à une production de boissons gazeuses et de jus.
C’est le complexe agro-industriel basé à Bejaïa qui constitue aujourd’hui la branche la plus rentable du groupe (65% du chiffre d’affaires). « Nous avons fait passer le pays de l’état d’importateur à celui d’exportateur d’huile végétale et de margarine » répète à l’envi le PDG. « Même chose l’année prochaine pour le sucre blanc. Une nouvelle raffinerie d’une capacité de 1 million de t entrera en effet en production en juin 2008. Une unité de sucre liquides démarre fin novembre prochain au rythme de 600 tonnes/jour (t/j) », confie-t-il à Jeune Afrique.
En 2005, six projets industriels ont été lancés. Une première ligne de production de verre plat (sur les 5 prévus) est entrée en activité en juin dernier avec une capacité de 600 t/j (70% destinés à l’exportation). Elle sera suivie d’une deuxième de 800 t/j puis de trois autres (500, 800 et 900 t/j). « Il n’existe aujourd’hui que 2 lignes de verre plat en Afrique, une petite en Egypte (400 t/j) et une autre en Afrique du Sud (500 t/j) », s’enthousiasme le patron L’unité de bâtiment de préfabriqué en béton en revanche est destinée au marché intérieur. La première usine est opérationnelle, la seconde suivra en décembre. Le groupe construit également 3 centrales électriques.
C’est enfin un lucratif partenariat qu’il a conclu avec Samsung l’an dernier. Après la distribution de produits électroménagers, la filiale Samha se lancera dans la production en 2008. Les équipements sont arrivés, reste à négocier… les assiettes foncières. Plus lente au démarrage, la Grande distribution. Malgré les annonces, on en reste sur sa faim avec seulement deux supérettes à Alger. Elles servent de formatrice pour l’avenir. « Nous comptons réaliser 3 centrales logistiques de très grande dimension, courant de l’année prochaine et des malls (centres commerciaux), avec des parkings de 1000 à 5000 places ». Mais le projet patine. Dans les petits papiers ruminent quelques projets agricoles : culture de betterave ou d’agrumes (encore faut-il trouver les hectares), production de graines oléagineuses.
« Rebrab est imprégné du modèle des chaebols coréens », analyse Nordine Grim. « Une de ses convictions c’est que l’économie d’un pays peut être portée par quelques grandes entreprises. Son but est de créer un tel groupe ». C’est avec des entreprises coréennes (Samsung et Hyundai) qu’il a d’ailleurs conclut les plus gros partenariats.
« Il faut dire qu’en Algérie, les entreprises qui atteignent une certaine dimension ont un handicap majeur », ajoute un consultant basé à Alger, « elles ne peuvent pas investir à l’étranger comme elles le veulent, il leur faut des autorisations laborieuses à obtenir ». Résultat, c’est sur le territoire national qu’elles se développent, par la diversification.
Au final, Rebrab sera à la fois producteur de matière première, transformateur, distributeur, transporteur. Ses usines de verre plat alimentées par ses centrales électriques permettront de confectionner les fenêtres de ses véhicules automobiles et bâtiments préfabriqués, les vitrines de ses futurs hypermarchés. Ces derniers présenteront dans leurs rayons sa gamme d’électroménager Samsung et les produits agroalimentaires Cevital, fabriqués ultérieurement avec ses propres produits agricoles. Ses exportations seront traitées par ses propres infrastructures portuaires, qui vivront des flux générés par ses nouvelles activités industrielles. On nage en pleine intégration…
Le chiffre d’affaires augmente chaque année et passera de 1,3 à 1,6 milliard de dollars en 2007 (dont près 400 millions pour Hyundai). Un succès qui ne d’ailleurs peut plus laisser un président de la République indifférent. Après le grand froid l’opposant à cet homme d’affaire qui a longtemps soutenu un parti d’opposition (le RCD) puis son rival Ali Benflis aux élections présidentielles, quelques contrôles fiscaux plus tard, Abdelaziz Bouteflika a franchi un pas en venant inaugurer l’usine de verre plat à Blida. Une nouvelle caution pour cet industriel qui de son côté a mis aussi de l’eau dans son vin.
Cette intégration et diversification en accéléré ne va-t-elle pourtant pas trop vite, trop loin ? Issad Rebrab la justifie par la nécessité de prendre les parts de marché avant les autres. « Nous n’avons pas d’endettement et réinvestissons la totalité de nos bénéfices. Nos fonds propres couvrent 130% de nos investissements. Nous ne visons aussi l’exportation et choisissons des branches d’activité à forte valeur ajoutée », rassure-t-il.
Les défis n’en demeurent pas moins immenses. L’agroalimentaire fonctionne bien mais si concurrencer des sociétés publiques moribondes est une chose, se mesurer à la concurrence des multinationales en sera une autre. « Ces entreprises un peu à la pointe en Algérie on un potentiel de développement extraordinaires avec des opportunités exceptionnelles même à l’international. Mais le goulot d’étranglement sera la compétence », observe un consultant. Et c’est là que le bât blesse, là que butte le projet de Grande distribution, qui repose sur la ressource humaine. Issad Rebrab en est conscient : « Former des directeurs et des chefs de rayon, ça prend du temps. La distribution est un métier complètement nouveau en Algérie ». Le métier du verre requiert également des qualifications particulières.
On récupère alors les compétences où l’on peut. Dans un pays qui a interdit le secteur privé jusqu’en 1982, puis traversé 10 ans de terrorisme, les cadres expérimentés proviennent nécessairement du secteur public, avec des méthodes du passé, ou de l’étranger. Pour coacher son staff, Cevital recourt à des cadres étrangers, payés au tarif international sur des contrats à durée déterminée, des « managers mercenaires », selon l’expression du patron.
Autre défi : rester orienté marché. « Ce n’est pas tout de produire, encore faut-il s’organiser pour vendre, convaincre les usagers de la pertinence du préfabriqué, par exemple », poursuit le consultant : « Dans la distribution il faut savoir s’adapter très rapidement au marché, harceler le producteur pour qu’il baisse ses marges, réagir vite et changer de crèmerie s’il le faut ». Trop impliqué, Rebrab sera-t-il à l’écoute du consommateur ?
En attendant le vent souffle et la structure se développe. « Nous avons fait appel au Cabinet Mc Kinsey pour la réorganisation du groupe », affirme le PDG. Cevital se transforme cette année en holding, avec 4 départements et 21 entités opérationnelles ou filiales. La Hyundai Motor Algérie, qui fonctionnait de façon indépendante se verra rattachée au groupe, tout comme les Véhicules industriels, Numidis (Grande distribution), Mediterranean Flot glass (verre plat), Samha (Samsung), la branche agroalimentaire (jusqu’ici Cevital tout court), Cevico (préfabriqué), Numilog (transports), Ceviagro (agriculture), Nolis (transport maritime), Cevital Construction, Energie renouvelables, etc.
« Ce qui existe fonctionne mais l’accumulation de nouveaux défis à traiter en même temps pourrait se révéler une faiblesse, sans parler de l’ingérence des pouvoirs publics en matière de foncier », conclut un industriel. Enfin, le caractère visionnaire et le dynamisme du grand patron se trouve-t-ils relayés au sein du groupe ? Les actionnaires de Cevital sont Rebrab et les enfants Rebrab (cf. encadré). L’avenir dira rapidement si comme papa, ces derniers sauront se fixer un cap et avancer contre vents et marée pour développer le groupe.
Nathalie Gillet


ENCADRES

Les grandes dates du Groupe Cevital

- 1971 : Prise de participation dans la société Socomeg (construction métallique)
- 1975 : Création de la société Profilor (d'huisserie d'aluminium)
- 1979 : Reprise de Sotecom (construction métallique)
- 1984 : Reprise de SACM d’Oran (construction métallique)
- 1985 : Création de Enalux (échafaudages aluminium)
- 1986 : Création de Nord Metal (fabrication de grillage et toile de tamis) et création de Metallor (tubes en acier)
- 1988 : Création de Metal Sider (sidérurgie)
- 1991 : Reprise d’IBM en Algérie et création du quotidien Liberté
- 1992 : Reprises de Rank Xerox et création de CBS
- 1995 : Création de Agro Grain (importation et distribution de produits agro-alimentaires)
- 1997 : Création de Hyundai Motors Algérie
- 1998 : Création de Cevital à Bejaia (raffinerie d’huile alimentaire, de sucre, margarinerie, silos portuaires et terminal de déchargement portuaire)
- 2005 : Lancement de 5 projets industriels (nouvelle raffinerie de sucre, 2 centrales électriques, unité d’eau minérale, ligne de verre plat, 2 unités de fabrication de bâtiment préfabriqué en béton)
- 2007 : Organisation en holding et divisions autonomes

Les enfants Rebrab, l’avenir du groupe ?

A 63, ans Issad Rebrab pense à sa succession : « J’y ai préparé mes enfants ». Le grand patron a 4 fils et une fille, dans la trentaine et quarantaine, tous sortis de grandes écoles :
- Omar, l’aîné, dirige la filiale Hyundai qui devrait accueillir d’autres activités périphériques
- Malik, le deuxième fils, occupe le poste de Vice-Président du groupe. Très présent aux côtés de son père, il s’est investi dans la diversification du groupe, notamment les projets de grande distribution, de verre plat et de bâtiment de préfabriqué. Choisi par son père à la première heure pour l’assister dans le développement du complexe agroalimentaire, il y avait acquis une forme de légitimité.
- Linda, la seule fille, est Directrice centrale achats, poste stratégique dans un groupe qui repose sur son activité de raffinage d’huile et de sucre ; l’écart entre le prix d’achat sur les marchés internationaux et le prix de vente fait la santé financière de l’entreprise
- Yassine dirige la filiale véhicules industriels (fabrique de remorqueurs)
- Salim, le plus jeune fils, dirige aujourd’hui la filière agro-alimentaire (les forces vives du groupe).
NG


ENCADRE
Cap Djenet : une nouvelle ère se prépare

Un grand pôle industriel de 1500 puis 5000 ha autour d’un port en eau profonde d’ici 2015, c’est sur ce nouveau socle que Cevital compte appuyer son développement et passer définitivement dans la cour des grands. Ce pole serait composé notamment d’un grand complexe sidérurgique, de 7 unités pétrochimiques, une unité d’aluminium, une usine de dessalement d’eau de mer, une unité de construction automobile, de fabrication de conteneurs, des centrales électriques (1200 MW). « Il y aura des synergies », promet Rebrab « une partie de rond à béton sera utilisé pour produire des produits plats et bobines d’acier destinés la construction automobile », ajoute-t-il à titre d’exemple. Le tout devrait créer 100 000 emplois. « L’ensemble des projets de Cap 2015 sont prévus en partenariat », précise le PDG, car l’investissement prévu est énorme : plus de 20 milliards de dollars.
« Port Cap 2015 sera plus important que TangerMed », assure-t-il sans en craindre la concurrence : « Il y a de la place pour tout le monde. Nous créons déjà notre flux : Sider ramène déjà 15 millions de tonnes et 2 millions au retour, l’aluminium 2,5 millions/t et au retour près de 800 000 t. Ce qui intéresse le grand patron, c’est moins la gestion du port que le projet industriel, dont l’essentiel a vocation exportatrice. « Nous voulons faire passer le niveau des exportations hors hydrocarbures à 15 milliards de dollars d’ici à 2015 »
La position centrale de Djenet, à 60 km à l’est d’Alger sur le chemin de l’autoroute Est-Ouest, qu’il suffira de joindre à la transsaharienne vers l’Afrique, devrait lui assurer quelques débouchés. On attend les autorisations foncières avec impatience…NG

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Algérie : les banques françaises affrontent la concurrence

Jeune Afrique, Hors-série Banques, Octobre 2007 (version originale de l'auteur)

Après la disparition des banques privées algériennes sous l’effet des faillites ou des fermetures, ne restent plus en Algérie que les privées étrangères et les banques publiques. Alléchés par la forte croissance du marché (+ 15% par an), les demandes d’agrément se multiplient depuis deux ans. Les banques françaises pourront-elle compter sur leur antériorité pour résister à la concurrence ? Elles devront en tout cas innover.

Toutes positionnées sur le marché du corporate (essentiellement le commerce extérieur), elles se différencient essentiellement sur le marché des particuliers, qui dépasse aujourd’hui 11% des encours au niveau national (dont les 2/3 sous forme de crédit immobilier).

Natixis, première arrivée en janvier 2000, mène sa stratégie indépendamment de celle de son actionnaire Banques populaires, candidat au rachat du CPA. Discrète durant ses 3 premières années d’activité, se concentrant sur son agence à Alger et les métiers du corporate, elle s’est aujourd’hui clairement engagée dans le développement de son réseau. Après l’ouverture d’une agences à Sétif et à Oran en 2004, une politique peu habituelle dans la maison est née : la banque de proximité. L’objectif est de passer d’une dizaine d’agences aujourd’hui à 60 d’ici à 2010, dont 50% d’agences mixte, 50% de retail pur. « On devrait mailler tout le territoire national, même dans le sud, à Ghardaia et Ouargla », précise M. Andredieu, directeur commercial de la filiale algerienne. Par prudence, la suite dépendra cependant des opportunités.

Etablie au même moment que Natexis en 2000, la Société Générale suit une stratégie ambitieuse de banque universelle avec une politique intensive d’ouverture d'agences aux particuliers : 32 actuellement (et autant de DAB), 50 d’ici à la fin de l’année. Elle comptait 80 000 clients en mai (contre 60 000 pour BNP), et en prévoyait plus de 100 000 pour septembre. Suivant le même business model que BNP, sa politique de développement est pour le moment la plus grand public des banques étrangères. « Nous avons vocation à être présents le plus vite possible partout, surtout sur le littoral (Oran à Annaba), mais pas dans le sud », explique la Société générale. La banque a ouvert en mai dernier une société de leasing automobile ALD Automotive. « Nos équipes travaillent au développement d'autres produits : le crédit d'exploitation, crédit d'équipement, placements ».

Plus prudente et plus jeune, BNP-Paribas, implantée depuis 2002 n’en a pas moins une politique d'implantation lourde et volontariste elle aussi, avec Sa stratégie industrielle intégrée est en avance sur ses concurrents : développement du réseau, crédit à la consommation avec Cetelem (juin 2006), produits d'assurance avec Cardiff (2007). Sa présence dans l’ensemble des pays de la région, dont dernièrement la Libye (rachat partiel de Sahari Bank), dénote une politique de groupe clairement méditerranéenne. BNP-Paribas compte actuellement 30 agences (contre 4 en 2005) et autant de distributeurs, qui passeront à une bonne quarantaine fin 2007. Fort de son programme de recrutement et de formation, la banque devrait passer de 450 employés aujourd’hui à 700 fin 2007. « Pour le retail (particuliers et entreprises), nous nous sommes appuyés sur l'expertise de Cetelem. Quelque 90% des clients avec engagements sont des clients algériens, dont 90% de PME », explique François-Edouard Drion, ADG de la filiale algérienne.

Fraichement arrivée Calyon a obtenu son sésame en mai dernier et ouvert une banque avec un capital de 2,5 milliards DA. « Notre approche est différente des autres car notre activité est exclusivement corporate », explique Michel Duchmann, directeur de la filiale algérienne. « Nous étions déjà actifs avant l’obtention de l’agrément, avec des références dans les secteurs des télécoms, de l’énergie et des transports. La création de Calyon Algérie va permettre d’augmenter la gamme de produits ». Son développement est toutefois suspendu actuellement à l’issue du processus de privatisation du CPA, dans lequel la maison mère Crédit agricole est partie prenante.

Une 4e banque française est présente, le CIC mais sous la forme de bureau de représentation depuis 2002. Le CIC est encore peu aguerri à l’international et privilégie généralement les prises de participation comme en Tunisie ou au Maroc. La banque a cependant décidé de faire une entorse à la règle puisqu’en partenariat avec la marocaine BMCE, dans laquelle elle détient une participation, elle a fait elle aussi une demande d’agrément l’an dernier.

Les banques françaises ne sont pas les seules sur le marché algérien, loin de là. Citibank les a précédées en 1998, avec une stratégie corporate mais aussi secteur public (entravée aujourd’hui par la mesure Ouyahia de 2004). Le pool des banques arabes quant à lui, à l’exception d’El Baraka et ABC (Arab Bank, Trust Bank, Essalam Bank, la libanaise Françabank) démontre approche plus rationnelle, très liée au commerce extérieur et aux entreprises des pays dont elles sont originaires.

Mais c’est surtout le britannique HSBC qui est attendu, après avoir obtenu une autorisation (préalable à l’agrément), et ce malgré le durcissement des conditions d’accès en 2006. Ciblant la PME, l’arrivée de ce mastodonte international qui nourrit des ambitions d’ouvertures d’agences, devrait dynamiser d’autant le secteur. Deutsche Bank frappe également à la porte mais de façon plus prudente et très ciblée. Parallèlement à sa demande d’agrément, elle a créé en juin dernier une filiale non bancaire, Deutsche Securities Algeria, et racheté 51% du cabinet de conseil algérien Strategica, séduite par son expertise sur le marché obligataire (cf. encadré). Son pari : le développement du marché des capitaux. Outre BMCE, la marocaine Attijariwafa Bank a également demandé un agrément, tout comme Dubai Islamic Bank et Unicrédit.

Elles sont une quinzaine à attendre mais dans le contexte du scandale Khalifa, la réglementation s’est considérablement durcie fin 2006. Obtenir une licence en Algérie est devenu très contraignant : capital social minimum augmenté à 2,5 milliards DA (obligeant les dernières petites banques algériennes à fermer), bon rating, possession d’au moins 400 agences dans le même pays. « On semble ne plus vouloir que des banques étrangères », en déduit un banquier algérien.

Mais c’est aussi sur le financement des entreprises que ces dernières sont attendues, alors qu’elle privilégient pour le moment les opérations de commerce extérieur. « La réglementation des changes est stricte ici. Cela rend les opérations complexes ; il faut donc être très techniciens et très performants », affirme-t-on à la Société Générale Algérie. Résultat, les banques privées traitent un tiers du commerce extérieur du pays alors qu’elles représentent seulement 10% des crédits.

Les crédits ont augmenté de 53% en 4 ans, l'encours est passé à 1941 milliards de dinars à fin 2006. Mais ce sont surtout les banques publiques qui répondent au besoin de financement des entreprises. Les banques étrangères sont en effet de petite taille et disposent de peu de dépôts. Après l’affaire Khalifa, une circulaire dite Ouyahia oblige les entreprises publiques depuis 2004 à placer leurs dépôts dans les banques publiques. Si on parle régulièrement de la supprimer elle est toujours en vigueur.

Les banques privées trouvent difficilement de la ressource longue, leurs moyens sont limités. La division des risques les empêche en outre de prêter à une même entreprise plus du quart de leur propre capital, donc souvent un quart de $ 30 millions, capital minimum exigé pour une banque. Que dire à un industriel comme Issad Rebrab, patron de Cevital, qui a des projets et besoins de financement sans commune mesure ?

« Les agences des banques françaises n’ont aucun pouvoir de décision. Obtenir un financement est long et plus compliqué que dans une banque publique. Je n’arrive même pas dans mon agence à obtenir un crédit de 200 000 euros », se plaint un chef d’entreprise de Blida. Le processus demeure en effet très centralisé. « Mais si les agences n’ont pas de pouvoir, le siège en Algérie non plus lorsqu’il s’agit de montants quelque peu importants. Avec cette approche-là, on ne développera jamais le secteur », affirme Lachemi Siagh. Certains reprochent aux banques étrangères d’écrèmer le marché en raflant les meilleurs contrats : « Elles restent sur du court terme, des opérations de change, c’est lucratif et moins risqué ».

La plus grande concurrence pour les banques privées devrait bientôt venir du Crédit populaire Agricole (CPA), en cour de privatisation. Si l’année 2006 a été celle du nouveau système de paiement (ARTS), 2007 sera celle de la première privatisation d’une banque publique en Algérie. Après une procédure de gré à gré avortée en 2001, le gouvernement a décidé de céder la majorité du capital de la banque (augmenté de 4 milliards DA à 29,3 milliards en 2006). Les six banques pré-qualifiées, Banques populaires, Santander, BNP-Paribas, Société générale, Crédit agricole et Citibank, retiennent leur souffle.

Première banque par le réseau, deuxième par le bilan, le CPA est en effet une belle signature. C’est l’une des premières à avoir organisé la modernisation de la monétique. Alors que la construction d’un réseau prend des années, l’acquéreur du CPA s’emparerait en une fois de 132 agences. S’il était retenu, le Crédit agricole devancerait d’un seul coup ses 3 concurrentes françaises déjà installées.

La phase des data-room est passée, on attend la remise des offres techniques à l’automne. Le processus mené par la banque de Rothschild doit officiellement aboutir à la fin de l’année. Le gouvernement algérien, qui n’en est pas à son premier appel d’offres infructueux, n’a plus vraiment droit à l’erreur. Mais l'évolution des recettes pétrolières ne pousse pas à la précipitation pour cette banque qui totalise 15% du marché et emploie 4000 personnes. Elle a réalisé un bénéfice net de 7,9 milliards de dinars (environ 110 millions de dollars) en 2006 sur un bilan total de 487,86 milliards.

Une question demeure : qu'adviendra-t-il de son portefeuille d'entreprises publiques ? Après la privatisation, la circulaire Ouyahia devra logiquement lui être appliquée. Etant la banque publique la plus active dans le secteur privé, elle est certes moins exposée que les autres mais l’annulation de la circulaire lui permettrait de conserver 25% de son chiffre d’affaires, ce qui changerait complètement la donne de la privatisation.

Malgré la concurrence, tout le monde devrait cependant trouver sa place sur le marché. « Sur l’activité corporate, les banques étrangères pourront travailler en pool, ce qui n’existait pas encore en Algérie », estime M. Andredieu de Natixis. Il poursuit : « Le tissu industriel tel qu’on le connaît dans les secteurs automobile, agroalimentaire, de la pharmacie, n’a que 10-12 ans. L’Algérie importait quasiment tout et les opérateurs qui se sont lancés dans l’importation pure il y a une dizaine d’année, passent progressivement à du premier assemblage voire à de l’industrialisation, avec des taux d’intégration qui vont jusqu’à 90% sur certains secteurs comme celui de l’électronique à Bordj ».

A cela s’ajoute la constitution progressive de groupes. La société algérienne type est familiale mais « on commence à voir se constituer des groupes informels, une famille détenant plusieurs sociétés. Certains évoluent vers des groupes financiers, avec la création de holding qui rassemblent ces sociétés », poursuit M. Andredieu. Le secteur privé se densifie. Abderramane Benkhalfa, de l’Association professionnelle des banques et établissements financiers (Abef), constate d’ailleurs « une inversion de la structure du portefeuille des banques. On est passé d’un rapport de 70-30% en faveur des clients du secteur public en 2003, à 50-50% en 2006. Si l’on compte les ménages, plus de 50% va désormais au secteur privé ».

Le marché devrait également se diversifier. La plupart des entreprises algériennes ont prospéré jusqu’ici grâce à des fonds propres ou profité de la surliquidité en Algérie. Mais devant leur croissance les banques publiques commencent à examiner le ratio d’endettement. Depuis l’affaire Khalifa, elles sont devenues plus frileuses, constate M. Siagh, qui vise le développement du marché boursier et mène actuellement des discussions avec 2 entreprises susceptibles de placer des actions d’ici la fin de l’année. Reste aue peu d'entreprises algériennes cependant sont disposées à ouvrir leur capital et à diffuser des comptes tous les 6 mois.

De leur coté, les banques publiques se modernisent mais regardent l’arrivée massive des banques étrangères avec méfiance. Si l’Etat a procédé au renflouement d’entreprises publiques dont elles sont créditrices, c’est sur d’autres ressources qu’elles expriment leurs inquiétudes. « Notre vivier de cadres est pillé par les banques étrangères qui arrivent en Algérie, c’est dramatique », se désespère un responsable de la Banque extérieure d’Algérie (BEA, 81 agences, banque de la Sonatrach). « On les forme et quand au bout de 6 ans de travail ils sont fins prêts, d’autres viennent les cueillir sans efforts avec des plans carrière et des salaires 6 à 10 fois plus élevés. Parfois on les recrute pour les envoyer au Moyen-Orient, c’est autant de perdu pour l’Algérie ».

Le pays évolue vite, avec des besoins énormes en termes d'infrastructures. Le niveau de bancarisation demeure encore très limité L'Algérie a un fort potentiel de croissance et compte faire passer le chiffre d'un point bancaire pour 28 000 habitants à un pour 15 000 dans 6 ans. Plus que la concurrence sur le marché, c’est la ressource humaine qui constituera rapidement le défi numéro un des années à venir.

Nathalie Gillet

ENCADRE : Monétique, ça avance

Après l’installation en 2006 du nouveau système de paiement (ARTS) et d’une infrastructure de télécompensation, les 1300 agences sont aujourd’hui connectées entre elles et dotées d'un scanner permettant la lecture automatique des chèques. « Il y a 800 distributeurs à travers le pays mais de nombreux ont été commandés ; d’ici à fin 2007 nous devrions atteindre un millier", assure El-Hadj Alouane, DG de la Satim, créée en 1995 dans le cadre du projet de monétique. Grace à l’interbancarisation, il est possible d’effectuer des retraits dans tous les distributeurs – du moins ceux qui fonctionnent. « on ne peut pas connaître son solde par la carte car les guichets ne sont pas encore réellement connectés aux banques », explique M. Alouane.

Il y aurait actuellement 105 000 cartes interbancaires de paiement mais environ 1 million de porteurs de cartes de retrait. Les Algériens n’ont théoriquement plus besoin de prendre sur leurs heures de bureau pour effectuer un retrait d’argent entre 9h et 15h et les banques sont plus libres pour développer d’autres services. L’utilisation de la carte de paiement en revanche est encore lente, dans ce pays habitué au cash, et les commerçants rechignent à faire usage des quelque 400 TPE déjà installés.

Parallèlement, les nouveaux instruments s’internationalisent. Les cartes de paiement algériennes portent toutes la puce EMV (EuroVisaMastercard). Après la connexion avec des plateformes internationale, les retraits Visa devraient être possible avant fin 2007. Prochain dossier : la personnalisation des cartes de paiement et leur généralisation. « L’objectif est d’atteindre 2 cartes pour 3 comptes. », affirme M. Alouane. NG

ENCADRE 2 : Développement des émissions obligataires

Depuis quelque temps un marché obligataire s’est développé en Algérie, avec notamment la contribution d’un cabinet de conseils en financement d’entreprises et en investissement, Strategica, né en 2003. Son patron, Lachemi Siagh, revenu en Algérie après 25 ans d’absence, a développé avec le ministère des Finances une courbe de taux du Trésor, premier point de repère sur ce créneau. « Les premiers mandats décrochés ont été le financement de Air Algérie (2004-05) : 42 milliards DA (en 3 grosses émissions dont une au grand public). C’était la première fois que les Algériens achetaient des obligations en dehors de l’emprunt test de Sonatrach en 1998 ». Voyant cela, d’autres grandes entreprises ont voulu s’y mettre : Sonelgaz : 46 milliards en 3 émissions dont une grand public, en 2004-05, Sonatrach et certaines de ses filiales, Algérie Telecom en novembre dernier.

« Grâce aux émissions grand public, on a permis aux banques de proposer à leurs clients des comptes titres alors que jusque là elles ne proposaient que des comptes chèque ». A l’heure d’aujourd’hui on compte 31 titres représentant 155 milliards de DA. Le marché obligataire a permis de lever $ 2,2 milliards en deux ans. Si d’autres acteurs peuvent théoriquement s’y placer, Strategica, racheté en juin par Deutsche Bank a jusqu’ici été le seul sur ce créneau. Sa prochaine cible est le marché encore inexistant des opérations de fusion-acquisition. NG

ENCADRE 3 : Des marchés émergeant sur le retail

Le quotidien des Algériens commence à changer sous l’effet d’une nouvelle offre de produit. Depuis l’arrivée du crédit à la consommation et plus particulièrement du crédit automobile, posséder une voiture ne relève plus de l’utopie comme en témoignent les embouteillages monstrueux de la capitale depuis 2-3 ans. Même chose pour le crédit immobilier. « Les Algériens ont tout simplement découvert le levier de l'endettement », explique Rachid Sekak, de HSBC.

Et ce marché n’est pas prêt d’être saturé dans ce pays qui compte une grande part de jeunes en pleine phase d’équipement. Cetelem, filiale crédit conso de BNP-Paribas, qui s’est installée en mars 2006 et a déjà rassemblé 30 000 dossiers pour un montant d’environ 100 millions d’euros. « Comme il n’y a pas encore de spécialiste de la grande distribution, nous travaillons avec des moyennes surfaces sérieuses, qui offrent du service après-vente », explique Loïc Le Pichoux, Directeur général de la filiale en Algérie. Plus de 100 concessionnaires automobiles et une centaine de magasins d’électroménager (dont 40% environ à Alger) ont été agréés. Credal, filiale de la Société générale et concurrent de Cetelem attend son agrément avec impatience.

« Nous nous sommes lancés récemment dans le crédit immobilier mais il faut rester prudent car le marché est encore immature, vérifier l’existence de titres de propriété. Ensuite les revenus moyens sont bas et l’on a encore peu de recul sur la stabilité des emplois », nuance pour sa part la direction de la Société générale. D’autant que sur l’immobilier, la CNEP, avec son réseau, ses ressources, sa compétitivité prix, domine encore pour largement le marché.

NG

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Distribution : les nouveaux choix du consommateur

Jeune Afrique, Septembre 2007

Dans la rue Didouche Mourad au centre d’Alger, deux ouvriers posent les derniers câbles d’alimentation électrique d’un petit espace commercial. L’enseigne rose déjà installée annonce l’ouverture imminente d’un magasin de vêtements Etam. Plus loin, dans la même rue, entre une pizzeria et une terrasse de café, un jeune homme repeint avec soin la façade blanche d’un magasin Yves Rocher, qui compte déjà 4 printemps. « Au tout début, les femmes se ruaient sur les parfums, explique une commerçante du magasin, aujourd’hui, c’est sur le maquillage. Les crèmes peu utilisées il y a encore 2 ans, prennent de plus en plus de place dans la corbeille. Même chose pour le soin des pieds ; on ne s’en occupait jamais avant! ». Le petit rayon « Hommes » propose quant à lui parfums et après-rasage très prisés. « Notre clientèle ne provient pas uniquement des couches aisées », assure-t-elle.
Les habitudes de consommations évoluent en Algérie depuis l’arrivée progressive de marques étrangères dans le paysage commercial. En 2003, Yves Rocher avait été le premier magasin français à pénétrer le centre d’Alger et compte aujourd’hui plus d’une quinzaine de points de vente dans les grandes villes. Une trentaine d’implantations étrangères sont répertoriées pour le moment (cf. encadré) mais beaucoup se préparent. Equipés de paraboles depuis longtemps, les Algériens connaissent déjà les marques. C’est l’occasion désormais de s’approvisionner à la source, sans passer par la case Paris avec des valises pleines à craquer au retour.
Mais si ce marché de 33 millions de consommateurs est alléchant, le concept de franchise ne s’est pas encore généralisé et pour cause : il est soumis à un strict contrôle des changes. « Les rapatriements de royalties ne sont pas autorisés, reconnaît Hind Benmiloud, Présidente de la toute jeune fédération algérienne de franchise « mais cela ne veut pas dire qu’ils soient interdits ! », ajoute-t-elle. C’est sur cette base que cette avocate de profession a introduit le premier contrat de franchise en Algérie en 2004, avec la marque Carré Blanc (linge de maison) puis Geneviève Lethu (art de la table. Le texte de loi en gestation se fait attendre. « Cela devrait aller très vite maintenant », assure de son côté maître Benmiloud, dont les magasins connaissent un franc succès. En attendant, franchiseurs et franchisés « s’arrangent », notamment via le transfert de « dividendes ».
« Il n’y a pas de surfacturation » martèle Mme Benmiloud pour couper cour aux rumeurs, « mais la question des royalties est de toute façon mineure. La vraie difficulté est la disponibilité des locaux commerciaux, notamment dans la région algéroise qui concentre 70% de l’économie nationale. Les loyers sont de la folie, plus chers parfois que sur les Champs Elysées ! ». Dans le quartier couru de Sidi Yahia, proche d’une zone résidentielle il faut compter 3000 euros mensuels, payables avec un an d’avance. Le locataire est peu protégé. « Le propriétaire peut vous renvoyer quand il le souhaite et tout ce que vous avez apporté comme améliorations dans les locaux n’est alors pas remboursé ! ».
Ouvert en mars dernier en plein centre d’Alger sur la place Emir Abdel Kader, le restaurant Quick bénéficie en revanche d’une localisation de choix, à l’endroit exact du Novelty, mythique café de l’Algérie coloniale. L’ouverture d’un symbole de la mondialisation à deux pas de la statue du fondateur de l’État algérien, n’a pas troublé pour autant les Algérois. Les voitures arrivaient de partout et les 2h d’attente nécessaires pour décrocher le moindre hamburger ont failli dégénérer en émeute! « Aller manger chez Quick à Alger, c’est comme passer les frontières de l’Europe sans visa », commente Slimane, étudiant de 22 ans. Victime de son succès… et d’une grève des dockers marseillais, le restaurant a dû fermer ses portes pour rupture de stock au bout d’un mois. Il a rouvert en mai dernier dans un climat plus serein, avant celle d’une vingtaine d’autres d’ici à 2012.
La multiplication des enseignes de grande distribution est également très attendue. Plusieurs années après le démantèlement des Galeries algériennes et des Souks el-fellah, Carrefour a été le premier à se lancer sur ce marché en janvier 2006, avec une surface de 3 000 m². Il s’est associé à Ardis, récente enseigne du groupe algérien Arcofina (hôtellerie, assurances, santé, télécommunications, services et promotion immobilière), dirigé par Rahim Mohamed Abdelwahab, propriétaire de l’hôtel Hilton.
Bousculades à l'entrée et embouteillages, l’engouement des premiers mois a pourtant rapidement fait place à la déception. Le consommateur qui espérait voir débarquer des produits français bien connus ou les références Carrefour a déchanté. Entre les légumes de la Mitidja, la viande des éleveurs algériens, les produits laitiers de l’Oranie et la Kabylie, 70% des produits proposés sont made in Algérie. « Le saumon de la marque Carrefour se vend toujours au trabendo ! », s’exclame une diplomate. Mal situé dans une banlieue populaire, avec une surface de parking minuscule, l’accès en est en outre laborieux, même si le tramway devrait bientôt s’y arrêter.
« Nous voulions prendre connaissance du marché, c’est un « magasin école » qui gardera sa vocation alimentaire », se défend l’actuel directeur général. Le premier hypermarché Carrefour aux normes de la grande distribution n’est attendu en réalité que pour décembre 2007, avec une surface de vente de 7000 m2 (sur un 25 000). Grues et machines sont en pleine activité à l'est de la capitale, près de l’actuel Hilton, pour construire ce complexe doté d’un aqualand, de restaurants, d’appartements et surtout d’un grand parking. Le groupe a annoncé l’ouverture de 17 hypermarchés d'ici 2012 à Alger, Oran et Constantine.
Quelques initiatives locales ont également fait parler d’elles. Le groupe Blanky avait lancé fin 2005 sa propre chaîne de supermarchés Promy mais difficultés financières et déboires judiciaires compromettent actuellement son avenir. De son côté, le milliardaire Issad Rebrab, fondateur de Cevital, le premier groupe privé algérien, refuse de laisser la place aux grandes enseignes internationales. Pour offrir à ses produits alimentaires (sucre, huile) des débouchés naturels, il a créé sa chaîne de supermarchés Tabaan. Intéressé par l’hypermarché, il a également fait appel au français Sealand pour former du personnel et créer tout un réseau. D’autres concurrents sont pressentis comme l’algérien Mehri (agroalimentaire, hôtellerie), mais aussi Auchan ou Casino.
Mais si les belles boutiques changent le visage des rues algéroises, l’arrivée des marques n'est pas encore spectaculaire. « L’Algérie reste un pays de superettes, relativise un diplomate, et la plupart des implantations actuelles sont l’initiative d’Algériens ». Le pouvoir d'achat est-il en cause ? En partie : un jean Levis se vend 5 000 dinars, près de la moitié d'un SMIC et rares sont celles qui peuvent s’offrir une coupe de cheveux chez Jacques Dessange, dans son salon de 400 m² à El-Biar. Les anciennes classes moyennes se serrent aujourd’hui la ceinture et l'essentiel de leurs salaires est englouti par les dépenses alimentaires et de logement…
Les grands distributeurs devraient en tout cas contribuer à fluidifier les circuits, régulariser les approvisionnements avec la création de centrales d'achats et d’entrepôts frigorifiques, voire stabiliser les prix sur l’année, ramadan comris.

Nathalie Gillet, envoyée spéciale à Alger

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ENCADRE 1 : Crédit à la consommation :

Avec une offre croissante de crédit à la consommation, les ménages algériens découvrent depuis peu les joies de l’endettement. Un enthousiasme qui s’est rapidement répercuté sur la croissance du parc automobile, devant l’indigence des transports en commun. Résultat : parcourir les rues sinueuses d’Alger, sortir de la ville ou y entrer, ce qui n’a jamais été simple, est devenu un vrai calvaire depuis 3 ans.
Crédit automobile et biens d’équipements sont les deux spécialités de la société de crédit Cetelem, qui s’est installée en mars 2006. « Comme il n’y a pas encore de spécialiste de la grande distribution, nous travaillons avec des moyennes surfaces sérieuses, qui offrent du service après-vente », explique Loïc Le Pichoux, Directeur général de Cetelem en Algérie. Plus de 100 concessionnaires automobiles et une centaine de magasins d’électroménager (dont 40% environ à Alger) ont été agréés. L’institut a rassemblé en un peu plus d’une année 30 000 dossiers pour un montant d’environ 100 millions d’euros.
Dans un pays qui compte une grande proportion de jeunes en pleine phase d’équipement la demande n’est d’ailleurs pas près de flancher. Le concurrent Credal, filiale de la Société générale, l’a bien compris et s’apprête également à y poser ses valises. « A la Société Générale, nous avons été parmi les premiers à faire du crédit à la consommation non affecté, affirme la direction. Quant au crédit immobilier sur lequel nous nous sommes lancés plus récemment, il faut rester prudent car le marché est encore immature. Il faut vérifier l’existence de titres de propriété, tandis que les revenus moyens sont bas et que l’on a encore peu de recul sur la stabilité des emplois ».
NG
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ENCADRE 2 : Les marques déjà présentes

C’est par vagues successives que les enseignes sont apparue en Algérie : la première dans le secteur de l'hôtellerie trois et quatre étoiles (Mercure, Sofitel, Hilton, Sheraton, et bientôt le Marriott), puis l'électronique grand public tel que : LG, Samsung, Philips, la production agroalimentaire, les services (Berlitz, Speedy), et la distribution. La franchise à proprement parler s’est imposée à partir de 2005-06, notamment dans l’habillement, les cosmétiques, les produits de luxe (parmi lesquels beaucoup d'enseignes françaises) : Yves Rocher, Carré Blanc, Geneviève Lethu, Celio (200m2), Etam, Orchestra, /Swatch, Quick, Speedy, Lewis, Naf Naf, Complices, Desjoyaux (piscines), Jacques Dessange (coiffure), Comera (cuisines clé en main), Franck Provost, le groupe Flo et son restaurant Hippopotamus en mai 2005, Geox arrivé sans faire de bruit (2 boutiques), Villeroy & Boch (art de la table), Christofle (linge de maison), Bernardaud, Baccarat, Yves Delorme, et Le Jacquard français. « La clientèle algérienne est exigeante, pas question de lui refourguer les soldes françaises de l’an dernier », affirme un commerçant. Le groupe Cevital a lancé EuropCar en mars, sous contrat de franchise et va lancer sur le territoire le 1er réseau de distribution de bureautique et électroménager (Samha-Samsung). Après le succès manifeste de Quick en mars dernier, un fast-food McDonald’s devrait également arriver très bientôt.
NG

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L'Algérie découvre ses Pages Jaunes

L'Expansion, Juillet 2007

Depuis quelques semaines, les Algérois peuvent feuilleter les pages saumon du tout premier annuaire professionnel de l’histoire de l’Algérie. Bourré de publicité, le recueil rassemble entreprises privées, publiques et administrations. « C’est un exploit, dans un pays qui, après des années d’économie centralisée s’est ouvert au libéralisme ! », s’exclame le Français Michel Bisac, créateur du moteur de recherche www.voilà.fr, et directeur de Les pages Maghreb (LPG), qui a réalisé l’annuaire pour le compte d’Algérie Telecom. « L’émergence d’entreprises privées depuis une dizaine d’année a créé un besoin qui n’existait pas », poursuit le directeur de cette petite société, installée en Algérie depuis mars 2006.
Après une version publiée en ligne en septembre 2006, 7 conteneurs ont déjà livré les 100 000 premiers exemplaires papier de l’édition Alger et région centre (140 tonnes de papier). Le volume consacré à la région Est arrive en octobre, celui de l'Ouest et du Sud en décembre. Parallèlement, LPG a réactualisé le vieil annuaire des particuliers, avec l’aide d’Algérie Telecom. Il était temps. Les années de terrorisme ont bouleversé les rapports démographiques et précipité les villageois dans les grandes villes. Prochain défi: la Libye, assure M. Bisac.
Nathalie Gillet

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Foire d'Alger : les entreprises françaises sereines sur la sécurité

Le Moniteur du Commerce international (MOCI), 11 juillet

Comme chaque année, c’est le pavillon français qui à la Foire internationale d’Alger (du 2 au 7 juin 2007), a présenté le plus grand nombre d’exposants étrangers (247 entreprises), suivi de l’Egypte (228), l’Italie (110), la Tunisie (60) et l’Allemagne (50). Pas de pavillon américain en revanche, contrairement à l’an dernier. Pour cette 40e édition, la participation française a cependant révélé une baisse sensible, comparée aux 325 exposants de l’an dernier. Les attentats du 11 avril dernier à Alger auraient-ils eu un impact sur la disposition française à faire des affaires en Algérie ?

« Pas du tout !! », affirme-t-on à la Chambre française de commerce et d’industrie d’Algérie (CFCIA), qui organisait le pavillon, « mais les entreprises se tournent désormais vers les salons spécialisés, qui se multiplient en Algérie et montent en puissance d’année en année ; elles ne peuvent pas être sur tous les tableaux en même temps ».

Les témoignages étaient nombreux dans ce sens. « Les bombes ne nous dissuadent pas, au contraire, elles font peur aux autres, alors nous restons sur le marché » affirme Philippe Omnès de MTU (construction de moteurs), qui expose chaque année. « L’Algérie est un marché en évolution soutenue avec de gros projets industriels et militaires ». « Je suis présent depuis 25 ans et expose depuis 29, enchaîne un responsable de Facom (distribution d’outillage à main) : « Sur le plan sécuritaire, nous sommes évidemment prudents car nous avons un réseau de distribution sur tout le territoire. Nous avons envoyé des camions pour sensibiliser nos personnels ».

Sodilec (émetteurs de télévision) participait pour la première fois mais ne renouvellera pas l’expérience : « Il y avait peu de monde. En 2008 nous allons organiser des séminaires ciblés, accompagnés de déjeuners de contact. L’Algérie est un vrai marché, surtout avec la mise en place de la télévision numérique ».

Plus que l’insécurité physique c’est l’insécurité juridique qu’appréhendent en réalité les entreprises, et les maux traditionnels de l’économie algérienne : insuffisance de la formation, économie informelle, corruption, archaïsme du secteur financier, indisponibilité du foncier depuis les collectivisations d’après guerre (calvaire pour une grosse entreprise comme Magellan, qui a besoin de zones de stockage importantes pour ses véhicules). « Pour accéder à des terrains, certains envisagent le rachat de sociétés privatisables, même peu attractives, pourvu qu’elles aient des murs et du terrain. Mais même ces sociétés, parfois, n’ont pas de titre de propriété ! », précise-t-on à la CFCIA. La révision de la loi sur les hydrocarbures, légitime pour certains, est vue par d’autres comme un retour en arrière faisant fi des plans d’investissement engagés par les partenaires étrangers.

Mais l’embellie financière que connaît l’Algérie avec près de $ 80 milliards de réserves de change et un programme d’investissements de $ 150 milliards sur 5 ans (2005-09), laisse intacte l’attractivité du pays. La compagnie aérienne française Aigle Azur en plein essor en Algérie, a déjà rempli son carnet de réservation à 90% pour la haute saison, grâce, certes, aux vacanciers.

Les obstacles ne viennent d’ailleurs pas toujours du même côté. « Nous voulons travailler avec l’Algérie , explique un Français qui exposait pour la 3e fois, mais le problème c’est que les gens qui viennent acheter nos produits en France se voient refuser le visa. C’est arrivé à un client intéressé par une de nos très coûteuses machines. Ne pouvant pas venir, il a fini par se tourner vers une machine allemande !! ».

Nathalie Gillet, envoyée spéciale à Alger

Encadré n°1 : France-Algérie : hausse du nombre d'implantations

L’engouement pour le marché algérien se mesure à la progression du nombre des implantations depuis quelques années : 427 françaises aujourd’hui, contre 250 environ il y a à peine deux ans. En termes d’investissements la France se classe deuxième avec $ 295 millions en 2006, derrière les Etats-Unis (369 millions), mais 1ère hors hydrocarbures, avec $ 245 millions, devant l’Egypte (157 millions). Comme fournisseur, en revanche, sa part de marché suit une tendance baissière à 20,6% en 2006 (contre 22% en 2005 et 24% en 2004), au profit notamment de la Chine, passée en peu de temps de la 11e à la 3e place (8% de part de marché), derrière l’Italie et devant l’Allemagne (4%). Boosté par le BTP, l’Empire du Milieu devrait ravir la deuxième place cette année…

Les principales implantations françaises sont, dans l’ordre décroissant : Sodexa, GoFast (qui a acquis en mai 51% du capital de CNAN Nord, navigation maritime), Peugeot, Danone (ouverture d’une biscuiterie fin 2006, rachat d’un embouteilleur d’eau), GDF, Sofitel, Michelin, BTK (rachat d’une entité de SNVI fin 2006), Renault, Castel, Société générale. Quelque 15 milliards d’euros de grands contrats (énergie, hydrocarbures, transports notamment) seraient en prospect.

Encadré n°2 : Commentaires d’un gestionnaire du risque

« Avec les attentats kamikazes du 11 avril à Alger, celui du 3 mars 2007 contre un bus de travailleurs russes de Stroitransgaz, celui du 10 décembre 2006 contre un bus de travailleurs de l'entreprise américaine BRC et l’enlèvement récent d’un cadre égyptien d’Orascom, les entreprises ont été surprises de constater que la stratégie des groupes terroristes était en train d’évoluer et visait de nouveau des intérêts étrangers », affirme Pierre Montoro de Géos, société française de gestion de risque, implantée à Alger depuis 1998. « Le pays est en voie de normalisation et les forces de l’ordre ont pris le dessus sur le terrain, mais la paix ne se fera pas du jour au lendemain. Quelque 3000 maquisards ont été libérés de prison et rien ne les empêche de poursuivre leur soutien au GSPC. Mais d’un autre côté, ceux qui sont descendus ont aussi alimenté les forces de l’ordre en information, qui à leur tour ont pu mener des opérations plus ciblées ».

Encadré n°3 : Du crédit à la consommation au calvaire des automobilistes

« Beaucoup de clients qui voulaient venir sont repartis faute de place de parking » !, regrette- Klaus Rabba, PDG de Vulkan, qui exposait pour la 2e fois à la FIA. « Les problèmes de transport en ont découragé plus d’un professionnel », enchaîne un autre exposant : « Nous avons mis tous les jours 2-3 heures pour arriver de la capitale au Palais des expositions, pour un trajet qui prend 20 mn !! ». La présence de policiers à l’entrée de la Foire, pour assurer la sécurité, n’est pas la seule explication à l’extrême désorganisation de cette année.

La croissance du parc automobile en Algérie (actuellement de 3,5 millions de voitures particulières) apporte une autre grille de lecture. Boostées par l’apparition du crédit à la consommation, dont notamment le crédit automobile, 439 000 voitures ont été importées en 2 ans. Les ménages algériens en effet n’hésitent plus à s’endetter pour ce qui est loin d’être un luxe dans un pays qui n’offre pas de transports en commun dignes de ce nom, où les quelques chauffeurs de taxis de la capitale, effrayés par les encombrements ont leurs propres trajectoires et surfacturent le moindre détour pour rentrer dans leurs frais. Résultat, parcourir les magnifiques rues tortueuses d’Alger, sortir de la ville ou y entrer, qui n’a jamais été très simple, est devenu un véritable calvaire aujourd’hui. Les voitures avancent au pas, les conducteurs mettent plusieurs heures pour arriver au bureau à bout de nerfs.

Encouragée par la diversification des produits bancaires et l’installation d’établissements de crédit comme le français Cetelem en mars 2006 et bientôt Crédal, qui passent des accords avec les magasins, la consommation a repris. « C’est l’une des évolutions positives du pays, avec l’arrivée imminente de la grande distribution », commente pour sa part Jean-Marie Pinel de KPMG, cabinet d’audit et de conseil présent en Algérie depuis mars 2002, qui vient de publier l’édition 2007 de son Guide Investir en Algérie. La construction d’un 1er vrai hypermarché Carrefour aux abords de l’hôtel Hilton, le déploiement de chaînes de supermarchés locaux, le crédit, devraient relancer d’autant les ventes et structurer les circuits de distribution. En attendant, vivement l’achèvement du tramway dans la capitale (marché attribué à Alstom) et celui du métro d’Alger (Siemens). NG

Encadré n°4 : pression sur les ressources humaines

« Notre vivier de cadres est pillé par les banques étrangères qui arrivent en Algérie, c’est dramatique », se désespère un responsable de la Banque extérieure d’Algérie. « On les forme et quand au bout de 6 ans de travail ils sont prêts, d’autres viennent les cueillir sans efforts avec des plans de carrière. » Comme le confirme Reda Hamiani, patron du Forum des chefs d’entreprises, « travailler dans une banque publique relève aujourd’hui du militantisme, avec un rapport de salaire de 1 à 6, voire de 1 à 10 ! ». Même situation dans le secteur pétrolier, Sonatrach ne parvient plus à retenir ses compétences. L’interdiction pendant 2 ans aux cadres démissionnaires de travailler dans le même secteur ne règlera pas le problème de la formation.

« La plus grande difficulté réside dans le manque d’engagement », estime Pierre Collongues, de la société de déménagement Biard. « Les employés ont du mal à se projeter dans l’avenir, même dans une entreprise privée. Les CV sont éloquents : 6 mois par ici, 6 mois par là. Pour retenir mes cadres, je leur fais un bilan de progression tous les mois et essaie de nouer des liens personnalisés. Ils apprécient cela ». NG


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Algérie : la Deutsche Bank arrive en partenariat avec Stratégica

Marchés tropicaux et méditerranéens, 30 juin 2007

Après l’agrément accordé à Calyon et l’autorisation à HSBC cette année, c’est au tour de la Deutsche Bank de frapper à la porte du marché algérien. Pour ce faire elle a choisi une formule personnelle en s’appuyant d’abord sur un cabinet de conseil financier algérien, Strategica, dont elle a pris en juin 51% des parts. La banque allemande a créé parallèlement une filiale non bancaire, Deutsche Securities Algeria, chargée de procéder aux demandes de licence nécessaires à l’activité de banque d’affaires. Après l’obtention de l’agrément, la structure se transformera donc en Deutsche Bank Algérie et, selon le développement des activités devrait racheter la totalité du capital de Strategica.

Contrairement à Société générale ou BNP Paribas, Deutsche Bank demeure une banque d’affaire et ne s’inscrit pas dans un schéma de banque universelle. Elle compte bien prendre sa part dans les opérations de financement de projets, de privatisation et de fusion-acquisitions et accompagner le développement de Sonatrach à l’international. « Nous sommes leader sur les mines et l’énergie », a insisté pour sa part Caio Koch Weser, Vice Président.

Par ailleurs, forte de ses implantations dans le Golfe (Dubaï, Abu Dhabi, Qatar, Bahrein, Arabie saoudite), la banque espère accompagner non seulement sa clientèle allemande mais aussi les flux arabes d’investissement, en pleine croissance en Algérie et au Maghreb depuis quelques années.

« Nous regardons avec beaucoup d’intérêt la privatisation du CPA, qui sera un signe fort d’ouverture », a également ajouté Caio Koch Weser, dont la banque a d’ailleurs été mandatée par le Crédit agricole, l’un des 6 soumissionnaires présélectionnés, pour le conseiller sur cette opération.

Actuellement en pleine ascension, le cabinet Stratégica, né en 2002, a contribué ces dernières années à structurer et dynamiser le marché obligataire pour les entreprises (31 émissions de titres représentant un volume global de 155 milliards de dinars, émis entres autres par Algérie Telecom, Sonelgaz et Air Algérie. « Nous avons créé une courbe de taux avec les autorités du pays », claironne Lachemi Siagh, directeur du cabinet, qui a mené une partie de sa carrière au Canada, avant d’être conseiller du Ministre de l’Industrie.

Il ajoute : « Nous ambitionnons d’amener les entreprises à s’inscrire en Bourse. Jusqu’ici, les entreprises algériennes étaient essentiellement familiales et contractaient pour leur développement de la dette auprès de la banque. Aujourd’hui, elles arrivent à un mur car leur le ratio d’endettement s’est élevé. L’une des possibilités qui s’offrent est l’ouverture du capital mais aussi la levée d’obligations ».

Rompu à l’exercice, il ne manquait plus à Stratégica qu’une banque pour disposer d’un bilan. L’un apportera les équipes d’experts locaux, les contacts d’affaires, la connaissance du marché, le second sa puissance de feu (1200 milliards d’euros d’actifs sous gestion, 56 milliards d’euros de capitalisation boursière) et une présence internationale.

Nathalie Gillet

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- Le port de Marseille vu par Alger
Interview de Reda Hamiani, Président du Forum des Chefs d'entreprises

Marchés tropicaux et méditerranéens, 22 juin 2007

MTM : Quel est aujourd’hui l'importance du port de Marseille dans le commerce extérieur de l’Algérie
Reda Hamiani : Elle a été stratégique. Le face à face a été organisé à l’époque coloniale. Pour nous, le port par excellence c’est évidemment celui qui est en face. Mais il a été un peu desservi par deux évolutions : la cherté des prestations assurées et les grèves. Dans de nombreux cas, le commerce, même asiatique, était triangulaire. On ramenait beaucoup de choses de Shanghai et de Hong Kong mais via Marseille, parce que les rotations sont bien sûr plus fréquentes entre l’Asie et Marseille et ensuite plus fréquentes entre Marseille et Alger. Maintenant la rotation avec les Asiatiques et les Turcs se fait directement car leur commerce s’est développé et devient florissant. Il n’y a plus nécessité de passer par Marseille, qui sur le plan des coûts, reste plus cher que Gène, Malte, Valence, Barcelone.
Les nombreuses grèves ont également terni l’image de Marseille, devenu un port à éviter. Cela a concerné des voyageurs et des conteneurs. Beaucoup de flux en provenance de Turquie, de Shanghai, de Hong Kong, ne transitent plus par là et vont soit sur Dubaï, soit sur Malte. Mais malgré tout, Marseille reste quand-même fondamentalement le premier port de trafic algérien.

L’Asie prend donc une place de plus en plus importante dans les échanges ?
Lorsque l’Accord d’association avec l’UE est entré en vigueur le 1er septembre 2005, j’avais exprimé des appréhensions du Forum. Avec l’ouverture des frontières, on s’imaginait assister à un envahissement du marché par des produits européens. Rien ne s’est passé, au contraire, nos rapports avec l’Europe qui étaient avant l’accord, de plus de 60% dans la balance commerciale sont tombés en moyenne à 55% ! Les statistiques ont alors montré que l’économie algérienne était sous emprise des « chinoiseries », ou plus sérieusement des productions asiatiques. Celles-ci ont tendance à alimenter deux types de logiques : l’informel et la contrefaçon. Or avec de telles logiques on ne va ni à Marseille ni à Paris mais à Shanghai et à Dubail.
L’horizon commercial a longtemps été Paris, Milan, Bruxelles. Aujourd’hui c’est Shanghai, Istanbul, le Pakistan, l’Inde, Hong Kong et Dubaï. Les trentenaires ne vont même plus à Marseille ou à Naples pour rechercher les produits bas de gamme. Il y a un détournement de flux commerciaux. En outre, le libéralisme instauré depuis presque 20 ans s’est aussi traduit par une quasi disparition des classes moyennes. A côté des riches de plus en plus riches, une grosse masse de gens n’arrive pas à joindre les 2 bouts. Les importations asiatiques correspondent exactement à ce qu’ils peuvent payer. Cette population se contente très largement de ce que j’appelle un effet Canada dry, celui des apparences.
Nous nous sommes craintifs. Nous réclamons plus d’Europe car cela signifie plus de transparence, plus de régularité dans les transactions. Nous redécouvrons les vertus de la facture, des documents comptables, de la qualité des produits, du service après vente. Or les échanges avec l’Asie sont porteurs de « pollution ». Ils permettent la contre façon, qui mine tous les ressorts de la production, aussi bien locale qu’étrangère. Ils alimentent énormément le marché informel, incontrôlable, qui transforme l’économie algérienne en véritable bazar. Le partenariat avec l’UE, nous amène du savoir faire, de la technologie et l’ouverture sur les réseaux commerciaux extérieurs et ce avec orthodoxie, vision et cohérence.

Que pensez-vous de la plateforme de Marseille en termes de services ?
Le problème, et je ne sais pas si c’est lié uniquement à la gestion portuaire de Marseille, c’est que le prix du conteneur Marseille-Alger s’élève à peu près à 800 euros en ce moment. En provenance de Turquie ou d’Asie, il coûte entre 1000 et 1200 euros. Comparativement aux distances, le trajet Alger-Marseille devrait s’organiser autrement.
Mais je reconnais qu’il y a des problèmes internes liés à l’Algérie. Les armateurs nous disent : « Alger est très pénalisé parce que dans tous les pays au monde, quand on envoie de la marchandise dans un sens, on en récupère dans l’autre. Mais vous n’exportez rien, à part le pétrole et le gaz, les flux d’échange sont toujours orientés dans un sens et quand on veut remplir à nouveau les conteneurs et le bateau pour le retour, il n’y a rien ». On exporte un peu de vin, d’oranges, de câpres et de produits métaux ferreux mais cela ne suffit pas. Alors on nous facture ce manque à gagner lié à un retour insuffisant sur le port de Marseille.
Propos recueillis par Nathalie Gillet à Alger

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Secteur bancaire : une modernisation suspendue aux résultats du procès Khalifa

Jeune Afrique, mars 2007

C'est une « drôle d'ambiance » qui règne actuellement dans les cercles financiers en Algérie, selon un professionnel du secteur. Du 8 janvier au 8 mars, cadres d'entreprises publiques et de banques, ministres et haut fonctionnaires ont en effet défilé sans interruption au Tribunal criminel de Blida, en qualité de témoins ou d'accusés, sous l'oeil attentif d'une centaine de journalistes. Tous les jours, une vingtaine d'articles alimentaient le feuilleton de nouvelles révélations. Ce devait être le procès du siècle, à la hauteur du plus gros scandale financier de l'histoire du pays. Mais après deux mois de débats médiatisés, les 104 inculpés pour « association de malfaiteurs, vol qualifié, abus de confiance, détournement de fonds publics, faux et usage de faux » sont apparus comme des seconds couteaux, voire les victimes expiatoires du système, selon leurs avocats, tandis que l'ancien PDG du groupe, Rafik Khalifa, est toujours en exil à Londres.

L'effondrement du château de carte a causé un préjudice estimé entre 1,5 et 5 milliards de dollars, mettant sur la paille des centaines de milliers de personnes. Or les bénéficiaires des fonds détournés semble avoir été moins inquiétés que les exécutants. Ces poursuites trop sélectives parallèlement à d'autres procès, suffiront-elles à transcender le traumatisme national et à restaurer la confiance des citoyens dans leur système bancaire ? Le verdict était attendu pour le 21 mars.

L'affaire aura permis en tous les cas de souligner les failles de la supervision et le manque de transparence. Depuis, des mesures ont été prises. La Banque centrale a amélioré son dispositif de contrôle et renforcé les corps d'inspection. Obligées depuis 2004 de porter leur capital minimum à 2,5 milliards de dinars, certaines banques ont dû fermer boutique; toutes créent des comités d’audit de contrôle interne tandis que l'Inspection générale des Finances verra son champ d’action étendu.

Autre élément améliorant la traçabilité des opérations : la modernisation des moyens de paiement. S'il y a une chose qui fonctionne enfin en Algérie, c'est bien ça. Des progrès colossaux ont été réalisés en 2006. Chambre de télécompensation, système de règlement interbancaire en temps réel des gros montants, l'Algérie est à jour sur le plan technique. Plus de 1 500 nouveaux scanners de chèques ont été achetés pour équiper les succursales algériennes. Le système gère aujourd'hi quelque 20 000 chèques par jour et il ne faut plus que 7 jours pour les encaisser (contre plusieurs mois auparavant). Un système de paiements de masse destiné au grand public sera également mis en place très bientôt.

Les distributeurs automatiques de billet ont gagné en visiblilité, près des agences, dans les aéroports. Mais si la carte de retrait fait la joie des premiers utilisateurs, la carte de paiement peine encore à se généraliser. « Ce n'est plus un problème de banques, car elles ont fait leur travail, mais plutôt... de commerçants », commente un cadre d'une banque étrangère. Beaucoup seraient en effet refractaires à l'installation de machines dans leurs commerce, par manque d'information mais aussi pour des raisons... fiscales. L'infrastructure en tout cas est disponible et fonctionne.

Trois banques algériennes devraient en outre introduire un système de notation des entreprises en 2008, destiné à en évaluer les performances, avec l’assistance technique de l’Union européenne. L'activité de rating devrait ensuite être confiée à une Agence spéciale de cotation. En revanche, l'obligation d'utiliser le chèque ou le virement pour des montants supérieurs à 50 000 dinars (524 euros) a été abandonnée - trop difficile à gérer dans une économie qui fonctionne encore essentiellement avec du cash.

Mais depuis quelques semaines, les réformes déjà bien avancées sont en stand by. « Avec l'affaire Khalifa, tout est bloqué. Il y a un attentisme absolument démentiel, la Banque centrale est paralysée», se plaint un cadre d'une banque étrangère, qui attent toujours son agrément pour ouvrir une filiale. Une douzaine de banques étrangères composent actuellement le paysage bancaire privé en Algérie, depuis les faillites des privées algériennes. Elles représentent 14% à peine du marché. Mais de nouveaux concurrents se pressent, conscients du formidable potentiel de développement d'une Algérie gonflée de pétrodollars.

Les demandes d’agrément se sont envolées depuis un an. Calyon a obtenu son sésame en juin dernier, en même temps que la banque universelle émiratie Al Salam Bank Algeria. Trois banques libanaises ont également fait une demande, França Bank (qui a obtenu sa première autorisation et compte dans son tour de table le transporteur maritime CMA/CGM), Biblos Bank (qui a racheté une partie de Ryane Bank) ainsi que la Libanese Canadian Bank (qui détient une participation dans la jordanienne Trust bank). Des banques privées italiennes ont été annoncées mais aussi des marocaines, comme Attijariwafabank (avec Santander) et BMCE, qui a obtenu son agrément en association avec CIC. HSBC attend également le sien, tout comme Unicrédit, Dubail Islamic Bank. Il y a du monde au portillon.

Les banques en place devront donc redoubler d'énergie pour garder leurs positions. L'américaine Citibank, qui ne fait pas de retail, se concentre sur les entreprises du secteur pétrolier et de la construction. La Société Générale Algérie, qui suit un autre shéma, multiplie les prêts à la consommation et s'est lancée il y a 8 mois dans le crédit immobilier, profitant du plan massif de construction de logements dans le pays. La BNP compte un réseau de 23 agences, dont 13 ouvertes en 2006. Elle a développé une stratégie globale avec l'arrivée de sa filiale Cetelem (crédit à la consomation) l'an dernier, puis récemment de sa filiale Cardif qui commercialisera ses produits d’assurance des emprunteurs. Le secteur des assurances en effet, avec un taux de pénétration de seulement 5,6%, promet de se développer et attire les invetisseurs.

Selon les chiffres officiels, le secteur bancaire compte actuellement 1 300 sites et agences bancaires et 14 millions de comptes, en sus de 7 millions détenus par Algérie Poste. Le gouvernement ambitionne de porter le nombre total de comptes à 30 millions d'ici à 2015. Le potentiel est là, si l'on en juge par la croissance des portefeuilles des banques (+15% entre 2005 et 2006).

Mais la grande actualité de l'année 2007 demeure la cession du Crédit populaire d'Algérie, première banque publique à être privatisée en Algérie. La bataille est féroce car le repreneur contrôlera 15% du marché et un réseau de plus de 130 agences. Six grandes banques internationales ont déjà été présélectionnées : BNP-Paribas, Société générale, Natexis, Crédit agricole, Santander et Citibank. Un pacte d'adhésion est en cours de constitution pour définir des critères de départ (traitement de l'emploi et autre). Il sera soumis aux candidats qui feront des remarques puis le signeront après d'éventuelles modifications. Ces derniers pourront alors entrer dans le « data room » pour accéder à l'ensemble des données et auront un mois et demi pour faire une offre financière. La totalité de ces démarches devrait prendre au moins 3 mois.

Pour le moment, cependant le temps est suspendu jusqu'aux résultats du procès Khalifa. « Personne ne sait ce qui en sortira or on ne peut absolument pas séparer aujourd'hui ce dossier de l'évolution du secteur bancaire », insiste un banquier algérien. « Beaucoup de choses ont été remises en cause, au niveau du fonctionnement des banques, du système de supervision, du management ». Certains avancent même l'hypothèse d'un arrêt du processus de privatisation, d'autres sont fortement convaincu du contraire. Les prochains mois nous instruiront sur le sujet.

Nathalie Gillet

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Dynamique des foires et salons en Algérie

Jeune Afrique, mars 2007

Conscientes du formidable potentiel de développement et d'un relatif retour de la sécurité, les entreprises européennes redécouvrent l'Algérie. Ce regain d'intérêt se traduit de la façon la plus concrète par une inflation des foires et salons professionnels depuis quelques années. A ceux qui cherchent à prospecter ce marché, de potentiels investisseurs leur font face côté algérien, à la recherche de nouveaux secteurs productifs. L'argent en manque pas mais en dehors du pétrole, le pays importe quasiment tout. C'est aussi dans ces nouveaux espaces de rencontre que s'échafaudent les nouvelles idées, nécessitant de nouveaux équipements.

L'événement phare demeure la Foire internationale d'Alger (FIA), moyen idéal pour prospecter pour la première fois. Segmentée par pays et non par secteurs économique, la FIA en est à sa 40e édition et a accueilli l'an dernier plus de 1635 exposants (contre 1538 en 2005), dont 1100 entreprises étrangères, avec à leur tête le pavillon français: près de 330 entreprises installées sur 10% de la surface d’exposition. « La France a particulièrement gagné en visibilité depuis 3-4 ans en termes d'exposants sur l'ensemble des événements », explique un chef d'entreprise algérien : « On voit même un intérêt franc pour le marché algérien du côté institutionnel (départements, régions) ou d'organisateurs français d'événements qui sont conçus en France ». Le 2e partenaire de la FIA en 2006 a été le Maroc (61 exposants), suivi de l'Allemagne (60), des Etats-Unis (44), talonnés par... la Chine (41). Ouverte au grand public, ce grand rendez-vous de l'année, n'est pas aussi restrictif que les salons plus spécialisés.

« Il n'y a qu'une dizaine de salons professionnels au sens strict du terme, à côté d'événements mixtes », explique Laurent Bertrand, directeur de Djazagro, le grand rendez-vous agroalimentaire organisé par le français Comexpo avec la Chambre algérienne de commerce et d'industrie et la Safex. « A Djazagro c'est le cas, poursuit-il, tous les visiteurs sont badgés et doivent avoir une invitation. C'est aussi le premier et le seul événement que nous organisons à l'étranger » Le nombre d'exposants s'est multiplié par 2 depuis sa création en 2003, atteignant près de 350 aujourd'hui répartis sur 10 000 m² : une moitié de français, une cinquantaine d'entreprises algériennes, mais aussi des italiennes, des belges. « L'arrivée de la grande distribution y est pour quelque chose ». Après l'ouverture d'un magasin à Alger en janvier 2006, Carrefour prévoit par exemple un hypermarché de 9 000 m2 dans la capitale et projette d'en ouvrir 18 autres d'ici à 2012. D'autres enseignes devraient enchaïner. Parallèlement, Comexpo organise le salon Equipauto depuis l'an dernier et pour la première fois Forum Labo (destiné notamment aux fournisseurs de laboratoires agroalimentaires et médicaux), avec 100% d'exposants étrangers.

« Actuellement les événements les plus rentables financièrement sont ceux qui suivent des projets », explique Omar Bedkane, patron d'Initiative, une petite agence algérienne. Le BTP (10% du PIB en Algérie) est donc très bien représenté. « Ce créneau devrait s'épanouir encore une bonne trentaine d'années car les technologies évoluent rapidement et le pays est en pleine reconstruction, avec des chantiers énormes », poursuit M. Bedkane. C'est Batimatec (organisé par les allemands Fairtrade et Imag) qui ces 5 dernières années s'est fait une véritable place au soleil en regroupant l'ensemble des acteurs qui gravitent autour du bâtiment. Une vraie vitrine, attirant plus de 600 participants (conte 72 en 1998) dont 300 sociétés étrangères.

Les nouvelles technologies de l'information suscitent également l'intérêt des organisateurs : pas moins de 4 événements sont liés à ce secteur sur le seul mois d'avril. Les hydrocarbures, industrie principale du pays ont évidemment leurs manifestations attitrées, comme le Salon international des hydrocarbures et du gaz (Sihgaz) dont la 3e édition en janvier dernier a affiché très rapidement complet (150 exposants sur 4000 m²). D'autres secteurs sont investis comme l'hydraulique, les nouvelles énergies, l'agriculture, le tourisme, l'automobile (sur le plan de l'équipement), le secteur médical.

Géographiquement parlant, l'activité des foires et salons touche également des villes moyennes, comme Oran à l'Ouest, qui a sa propre Foire internationale et son salon des hydrocarbures, ou Sétif, ville agricole et industrielle sur les hauts-plateaux de l'Est d'Alger, de plus en plus active. Annaba se réveille doucement mais manque encore cruellement d'infrastructures, comme d'ailleurs l'ensemble du pays. Alger, la mieux équipée ne dispose elle-même que d'un seul parc, le Palais de expositions, géré par la Société algérienne des foires et exportations, avec une surface d’exposition de près de 75 500 m².

« Mais cette activité florissante de salons se tassera plus vite qu'on ne le pense », analyse Omar. Bedkane, en raison d'un regroupement progressif des secteurs et de l'arrivée de grands noms de l'événementiel (tels le français Comexpo ou l'allemand Fairtrade), sans parler des organisateurs algériens (Safex, Caci, Capedes, Initiative, etc.). « Il faut avoir les reins solides, y croire, avoir les moyens de convaincre. Mais dans 3 ou 4 ans le paysage sera dessiné. La dynamique aura duré en tout et pour tout une dizaine d'années avant de trouver son cadre définitif », poursuit-il.

Son agence, Initiative, créée en 2004, fait partie des plus petits acteurs, qui organisent parallèlement aux grandes manifestations des salons plus modestes, ouverts au grand public sur un nombre de thémes divers. « Je suis architecte de formation, explique-t-il. Mais vous savez, nous avons vécu des années difficiles en Algérie; un diplômé finit souvent par se lancer dans un autre domaine ». Ses salons hébergent une trentaine d'exposants en général mais sur des créneaux moins investis par les autres : Sonim (seul salon du son et de l'image en Algérie), le Salon de l'hygiène publique, Arbo (salon itinérant de l'arboriculture fruitière), Bricoutil (outils de bricollage). « S'il n'y a pas toujours la demande a priori nous la suscitons car les besoins sont là : l''idée est de mettre l'offre et la demande en relation une fois par an autour d'un créneau sur lequel l'on dispose de peu d'informations. Il est certes très difficile de rentabiliser ce type d'événement par rapport à d'autres créneaux plus lucratifs mais nous le faisons par passion. Nous essayons de travailler sur le long terme, je ne suis pas du tout inquiet »

Et il ajoute : « Le problème en Algérie, c'est qu'il faut vouloir se montrer, on préfère encore trop souvent être absent d'un événement plutôt que d'être vu ». Les habitudes évoluent malgré tout dans les salons professionnels : « Avant, les gens venaient acheter des produits cash, la relation commerciale était essentiellement liée au prix. Aujourd'hui on réfléchit davantage en termes de projet et de plan de business », conclut Bertrand Laurent.

Nathalie Gillet

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- Modernisation du secteur bancaire algérien

Jeune Afrique, Hors série Banques, édition octobre 2006

Les moyens de paiement se modernisent et le contrôle bancaire se renforce. Mais les détournements et le problème de créances douteuses demeurent. L'arrivée de nombreuses banques internationales sur le marché et la privatisation de 2 banques publiques pourraient changer la donne.

Longtemps attendue, la réforme du secteur financier algérien commence à porter ses premiers fruits. L'incapacité chronique des banques à traiter dans de bonnes conditions des moyens de paiement est en passe de se résorber grâce à l'outil technologique. Les banques sont désormais reliées entre elles et depuis mai dernier le premier système de télécompensation des chèques fonctionne, affirment des banquiers sur place. Avec la saisie automatique sur scanners de données numériques, les manipulations manuelles ont été réduites au maximum. Il ne faut donc plus que 7 jours aujourd'hui pour encaisser un chèque (contre 3 semaines à 3 mois auparavant !). C'est une véritable avancée, qui a requis de lourds investissements, dont le montant demeure inconnu. Plus de 1 500 nouveaux scanners ont été achetés pour équiper chacune des succursales en Algérie et plus de 5 000 personnels formés ou en voie de l'être.

La télécompensation s'est étendue aux virements, tandis qu'un système de traitement en temps réel des virements de gros montants en temps réel (RTGS), projet directement piloté par l'ancien Premier ministre Ouyahia, est complètement opérationnel depuis juin, malgré une mise en œuvre encore délicate.

Côté carte de paiement, en revanche, peu de nouveauté pour le moment. Le projet pilote qui devait mobiliser 1500 commerçants et 50000 porteurs de cartes a pris des retards importants et à l'heure actuelle, les achats par ce biais sont très limités. "Avec l'arrivée de la grande distribution, la carte devient incontournable", estime pour sa part un banquier algérien basé à Paris. Ce dernier fait référence à la hausse des crédits à la consommation, liée à l'arrivée d'organismes spécialisés comme le français Cetelem, l'an dernier.

Mais si une vraie volonté politique s'est dessinée en matière de modernisation des moyens de paiement, il ne s'agit-là que d'un volet de la réforme financière. "Agir comme un instrument de circulation de l'argent ou comme une caisse d'épargne n'est que l'une des fonctions d'une institution bancaire. La question principale est : avec un Etat et des banques qui disposent aujourd'hui de liquidités considérables, quelle est la capacité à redistribuer, à agir sur l'investissement !", insiste un haut fonctionnaire international. Or, selon les chiffres officiels, le concours des banques dans le financement de l’économie nationale reste faible : moins de 30% du produit intérieur brut, très loin derrière le Maroc et la Tunisie, soit un peu plus de 1 700 milliards de dinars en 2005. Plus de 55% de ces crédits sont aujourd'hui destinés au secteur privé.

"Le marché algérien connaît un fort taux de croissance des actifs bancaires, beaucoup plus que dans les autres pays de la région. Les crédits à l'économie croissent de plus de 20% par an, ce qui est très élevé", nuance François Edouard Drion de BNP-Paribas, qui ajoute : "Mais c'est logique quand on considère la taille du secteur bancaire".

Le marché action en revanche est aujourd'hui complètement embryonnaire, avec une Bourse d'Alger léthargique depuis sa création en 1999, qui ne compte plus que… 2 valeurs (contre 3 l'an dernier) depuis le retrait cet été d’Eriad Sétif. L'évolution la plus intéressante s'observe au niveau des obligations. Outre les émissions d'entreprises publiques (Air Algérie, Algérie Télécom, Sonelgaz), en effet, ouvertes aujourd'hui au grand public, "on commence à voir des émissions d'entreprises privées" constate M. Drion : "C'est un très bon signe car cela signifie qu'il y a un complément de plus en plus crédible au financement bancaire à long terme, un nouvel outil dans la main des opérateur économiques algériens". Les deux dernières en date (et les deux premières) furent celle de Cevital, premier groupe privé en Algérie, et d'Arab Leasing Corporate, première institution de crédit-bail en Algérie (3,65 milliards de dinars levés).

D'autres réformes, plus structurelles et moins spectaculaires, sont également en cours : gestion des banques publiques, des agences, mise en place de centrales des risques. "Le plus grave problème des banques publiques actuellement est la mauvaise qualité des portefeuilles de crédit", martèle un banquier algérien à Paris. En 15 ans le gouvernement a effectué plusieurs assainissements et injecté plus de 20 milliards de dollars pour couvrir les créances douteuses de ses institutions financières. Du véritable subventionnement. En outre, comme plus de la moitié des crédits à l'économie servent aujourd'hui le secteur privé, le phénomène des créances douteuses s'est diversifié, voire amplifié, poursuit ce banquier, qui cite l'exemple de Tonic Emballage, cliente plus qu'heureuse de la BADR.

C'est là un enjeu important du secteur bancaire algérien actuel, celui dont dépend le retour général à la confiance et permettra (ou non) de transcender le traumatisme de l'affaire El Khalifa. Or les scandales n'épargne pas les banques publiques, au point qu'ils ont fini ces dernières années par banaliser les fraudes et détournements d'argent. Selon le quotidien El Watan, ceux qui ont frappé la BADR et la BNA auraient causé un préjudice total de plus de 35 milliards de dinars. Mais toutes les banques publiques sont touchées. Le montant détourné dans ces dernières a été estimé par la police à plus de 16,7 milliards de dinars (1,58 millions d'euros) en 2005 et celui des cinq premiers mois de l’année en cours aurait déjà dépassé les 9 milliards, poursuit ce journal. Sans parler des trous financiers enregistrés au niveau du Trésors public.

Fausses domiciliations bancaires, surfacturations, non paiement des fournisseurs étrangers, sociétés fictives, faux et usage de faux, prêts complaisants, fausses garanties, abus de confiance... tout est bon pour peu que l'on dispose de la complicité de certains responsables de banques. Or le phénomène croît au rythme de la hausse des recettes pétrolières. L'une des contradiction de la réforme c'est que son protagoniste principal c'est l'Etat, ose le même fonctionnaire international : "Il est propriétaire des banques, gestionnaire, contrôleur, conseiller, dirige le Trésor !! Dans ces conditions, la réforme est-elle vraiment possible ?", s'interroge-t-il.

Mais devant l'ampleur du préjudice, les pouvoirs publics ont fini (tardivement) par réagir, en lançant en janvier une véritable opération "mains propres", qui s'appuie sur la nouvelle loi appelée "Prévention et lutte contre la corruption et le blanchiment d'argent". Depuis quelques mois, les arrestations de directeurs de banques, de fonctionnaires corrompus se sont multipliées (cf. notre article du 2 juillet dernier). A côté de cela, le procès par contumace de Rafik Khalifa, ancien patron du groupe crapuleux, devait s'ouvrir en septembre au tribunal de Blida. Quelque 104 personnes sont toujours impliquées dans l’affaire dont 40 P-DG d’entreprises publiques, inculpés de corruption et trafic d’influence.

A sa décharge, la Banque centrale a cependant amélioré son dispositif de contrôle et a renforcé les corps d'inspection. Dans un pays dont les opérateurs économiques privilégie depuis le cash depuis des années (même pour la facture de téléphone…), le ministre algérien des Finances, Mourad Medelci, a par ailleurs annoncé que dès septembre 2006, "les opérations commerciales supérieures à 50 000 DA se feront obligatoirement par chèque et virement bancaires". De quoi apporter un peu de transparence.

Enfin, obligées depuis 2004 de porter leur capital minimum à 2,5 milliards de dinars, les banques qui en deux ans n'y sont pas parvenues, telle Arcobank, Mouna Bank ou Al Rayan ont dû tirer leur révérence. Ajouté aux faillites retentissantes des autres plus aucuns banque privée à capitaux algériens ne peuple à l'heure actuelle le paysage. Ne restent aujourd'hui que 6 banques publiques qui totalisent plus de 90% de l'activité du secteur et 12 banques privées à capitaux étrangers : 3 banques françaises (SG, BNP, Natexis) avec des modèles de banque universelle et bientôt la banque d'affaires Calyon; les banques d'affaires anglosaxones comme l'américaine Citibank, qui ne fait pas de retail mais s'intéresse aux entreprises du secteur pétrolier et de la construction, bientôt la britannique HSBC en attente d'agrément; enfin les banques à capitaux arabes (Koweit, Liban, Bahrein, Jordanie).

Ce paysage est amené à évoluer très rapidement par la grande actualité du moment : la toute première privatisation d'une banque publique, le Crédit populaire d'Algérie (CPA), qui sera suivie l'an prochain de la Banque de développement local (BDL). La cession minimale a été fixée à 51% ce qui placera le futur repreneur en position d’actionnaire majoritaire. Pour les banques étrangères candidates au rachat, l'enjeu est de taille. Le CPA contrôle en effet près de 15% du marché avec un réseau de 130 agences et total de bilan de 5,5 milliards d’euros. Non seulement son capital social a été porté à 21,6 milliards DA l'an dernier mais le Trésor s’est aussi engagé à racheter les créances publiques du CPA et à provisionner les crédits privés à hauteur de 90%.

La prestigieuse banque d’affaires Rothschild, chargée d'élaborer le cahier des charges, a achevé ce travail et l’appel d’offres devrait être lancé durant l'automne, pour une probable privatisation au cours du premier semestre 2007. Sur les starting bloc on trouve notamment les principales banques françaises (Société générale, BNP et Calyon mais aussi le Crédit Industriel et Commercial, voire les Caisses d'épargnes) mais aussi d'autres grands repreneurs prestigieux, comme HSBC et Citibank.

Après l'opération, la part du secteur privé passera donc à plus de 25% d'un seul coup, puis aux alentours de 35% après l’ouverture du capital de la BDL, de quoi modifier considérablement les rapports de forces. "Je ne crois pas que cela va changer grand chose", nuance de son côté notre fonctionnaire international, qui poursuit : Le personnel de la banque ne va pas changer par la grâce du saint esprit après la privatisation. Tant qu'il n'y a pas la sanction du marché on ne change pas. En outre, le but d'une banque, surtout si c'est un investisseur étranger, n'est pas d'être une institution de bienfaisance mais de gagner de l'argent. Nous aurons une plus grande efficacité et une amélioration du service (tant mieux) mais pas nécessairement une mentalité de développement. Une banque ne prend pas de risques. Or le pays est à risque car la déperdition des capitaux ici est élevée !"

Il n'empêche que l'Algérie, qui engrange de recettes pétrolières record et a les moyens de financer son développement attire de banques étrangères, soucieuses d'accompagner leur clientèle. Les demandes d’agrément depuis un an se sont envolées. Le français Calyon vient d'obtenir son sésame en juin dernier, en même temps que la banque universelle émiratie Al Salam Bank Algeria. HSBC attend également son autorisation. Trois banques libanaises ont également fait la démarche, dont França Bank (qui a obtenu sa première autorisation et qui compte dans son tour de table le transporteur maritime CMA/CGM), Biblos Bank (qui a racheté une partie de Ryane Bank) ainsi que la Libanese Canadian Bank, qui détient une participation dans Trust bank (jordanienne). Des banques privées italiennes ont été annoncées mais aussi des marocaines, comme Attijariwafabank (avec son actionnaire espagnol Santander) et BMCE (cf. notre article Maroc).

Si l'on excepte les réserves liées au risque, le marché algérien est en effet attractif et très prometteur. Outre l'activité pétrolière florissante et la reprise des grands chantiers, le taux de bancarisation de la population reste faible (un Algérien sur 5) et l’on ne compte que 1227 agences, soit moins d’une pour 30 000 habitants. Les ouvertures de d'agences s'accélèrent, notamment du côté des banques étrangères. BNP Paribas, qui au départ suivait une stratégie de banque d’investissement a également opté en 2005 pour celle d’établissement universel et compte 13 agences aujourd'hui (avec des effectifs passés de 70 personnes à plus de 300 en 2 ans). Son objectif est d'en ouvrir 15 à 20 par an. Après l'arrivée l'an dernier de sa filiale de crédit à la consommation Cetelem, elle a d'ailleurs fait une demande d’agrément pour ouvrir une société d’assurance, un secteur qui pour le moment ne représente que 0,7 % du PIB.

Le marché reste toutefois difficile. "Des goulots d'étranglement ont sauté, notamment en matière de contrôle des changes qui a été en partie libéralisé", salue François Edouard Drion, mais "il reste des distorsions de concurrence car aujourd'hui les banques privées n'ont pas accès au secteur public". Suite aux scandales à répétition qui ont ébranlé plusieurs banques privées algériennes ces dernières années (Khalifa Bank, Union Bank, BCIA), une circulaire de l'ancien Premier ministre Ouyahia datée de septembre 2004 oblige en effet jusqu'à aujourd'hui les entreprises publiques à ne traiter qu'avec les banques gouvernementales. Une mesure, que beaucoup de banquiers jugent tant inefficace contre la fraude que décalée par rapport aux dernières évolution.

L'Algérie a cessé d'être paralysée. L'informatisation et la modernisation des moyens de paiement, ajoutées à la privatisation de deux grandes banques et à l’arrivée de nouveaux acteurs internationaux, ne peuvent que concourir à davantage de transparence. Une qualité dont le secteur bancaire algérien a bien besoin.

Nathalie Gillet

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- Privatisations : L'Algérie passe à la vitesse supérieure

Jeune Afrique, juin 2006

C'est désormais un acquis, presque une banalité pensent certains. Après un démarrage laborieux et un long piétinement jusqu'à la fin 2004, l'Algérie aujourd'hui privatise. "Aucun sujet n'est tabou, nous voulons aller vite, tout est privatisable, il suffit de pointer du doigt l'entreprise qui vous intéresse", a martelé le 20 juin Mohamed Salah Aouadi, chef de division au ministère des Participations, devant un parterre d'entreprises françaises à la Chambre de commerce franco-arabe. De son côté le ministre Abdelhamid Temmar multiplie les road shows à l'étranger pour promouvoir son programme (3 villes en France et 3 en Italie en juin, Portugal à l'automne).

Evolution des Privatisations de 2003 à mi-2006

2003 2004 2005 1er Sem. 2006 Total par catégorie

Privatisation totales 6 9 52 40 107

Privatisations partielles (>50%) 1 2 17 4 24

Privatisations partielles (<50%) 0 2 1 2 5

Reprises par les salariés 8 23 29 5 65

Partenariats (JV) 4 10 4 2 20

Total 19 46 103 53 221

Source : MPPI

Pendant longtemps, pourtant, la cession du complexe sidérurgique El Hadjar au groupe Mittal Steel en 2001 et celle de 3 usines de l’Enad (détergents) à la société allemande Henkel étaient restées les deux seules opérations d'envergure que l'Etat mettait en avant pour se rassurer. L'année 2005 a connu un petit coup d'accélérateur (cf. tableau), rassemblant la moitié des 221 entreprises privatisées depuis 2003. Il en reste environ 1060, essentiellement de petites structures mais les grandes entreprises aussi figurent au programme : ENIEM (électroménager), ENIE (électronique), SNVI (véhicules industriels), dont une filiale vient d'être reprise par le français BTK, Saidal (pharmacie), SNTA (tabac). Ces dernières doivent recruter cette année leur banque d'affaires conseil pour 2006. Air Algérie est en phase de filialisation pour permettre la création de joint venture "y compris dans le secteur aérien", insiste-t-on au ministère.

Au niveau politique, le discours est donc clair et ce, à un moment où l'on aurait pu s'attendre au contraire. Compte tenu de la bonne santé macro-économique du pays, le programme de privatisation aurait dû perdre en effet de son caractère d'urgence, repoussant à plus tard des conséquences sociales impopulaires. "Les entreprises publiques ont un effectif pléthorique qu'il faut avoir le "courage" politique de licencier; ce n'est pas évident", explique le responsable d'un cabinet de consultants, qui poursuit : "Mais aujourd'hui la moyenne d'âge est relativement élevée dans ces sociétés et la retraite se prend après 32 ans seulement de cotisation. A l'aide de quelques bonnes primes et de départs à la retraites, le processus peut se faire naturellement et en douceur, comme ce fut le cas chez Mittal Steel, par exemple". En matière de "douceur", l'Etat ne s'était d'ailleurs pas si bien distingué en 1995, lorsque sous programme d'ajustement structurel, il avait licencié plusieurs centaines de milliers de personnes.

Ce qui explique la relance du processus c'est également un changement de conjoncture. Les compagnies nationales dans lesquelles l'Etat n'investit plus grand chose depuis longtemps sont en effet soumises à une rude concurrence. A l'intérieur des frontières, la plupart des secteurs ont été libéralisés, avant-même la privatisation des entreprises publiques. Découragés par la difficulté d'acheter (trop cher, trop compliqué) de nombreux privés ont ainsi lancé leur propre activité et conquis rapidement les parts de marchés des entreprises publiques, devenues encore moins attractives. C'est le cas notamment des corps gras et du sucre, au profit du groupe privé Cevital, de la bière (groupes algérien Tango et français Castel) des boissons gazeuses et fruitées (Ifri, NCA-Fruital). Dans la téléphonie mobile, le privé égyptien Orascom détient déjà plus de 56% du marché.

A la concurrence interne s'ajoute celle des produits chinois et progressivement des européens, qui bénéficient du démantèlement des tarifs douaniers lié à l'accord d'association UE-Algérie et à l'accession à l'OMC.

La privatisation apparaît donc souvent comme la dernière opération de sauvetage pour des entreprises moribondes. Mais malgré la faible attractivité de certaines structures, les investisseurs privés algériens ne s'en détournent pas pour une simple et bonne raison. En Algérie le foncier est rare et cher (2000 à 3000 euros le m2 en zone industrielle, selon un entrepreneur algérien !). Or les entreprises publiques se sont vu accorder au lendemain de l'indépendance des surfaces gigantesques. "On peut y mettre une cité universitaire !", a plaisanté à Paris M. Aouadi, du ministère des Participations, en parlant des plus grandes.

Du côté des investisseurs étrangers, moins portés sur l'aspect terrain, c'est l'embellie financière de ce pays de 33 millions de consommateurs qui incite à examiner certains secteurs de plus près. Misant sur le boom de la construction, le français Lafarge, l'allemand Heilderberg et l'italien Puzzi, prêts à affronter la concurrence d'Orascom déjà bien implanté, ont soumissionné début juin au rachat de deux des 6 cimenteries mises en vente (capacité d'un million de tonnes chacune). Le nom des adjudicataires sera connu début juillet.

Dans le secteur productif, c'est aussi l'agroalimentaire et les boissons qui suscite l'intérêt, comme la récente privatisation de l'eau embouteillée. Le groupe Danone, qui confirme un parcours sans fautes en Algérie, a acquis début juin la société Tessala auprès du groupe de boissons Algad. Exploitant une source à proximité d'Alger, avec un potentiel de 500 millions de litres par an, il compte bientôt lancer sa propre marque, Hayet. Parallèlement, le français a également augmenté de 51 à 95% sa participation dans Danone Djurdjura (produits laitiers) en avril 2006. De son côté le privé algérien Cevital a repris l’unité de production d'eau de Lala Khedidja, à Tizi Ouzou, tandis que l’entreprise d’eau minérale EMA a été cédée en partie au groupe Sim (préféré à Castel). Alors qu'il détient déjà 80% du marché algérien, le groupe français Lesaffre a repris deux levureries en décembre dernier.

Toujours dans l'industrie, l'italien Marme de Carrarra a été retenu en mai pour l’exploitation d’une carrière de marbre à Oran, en partenariat avec l’entreprise nationale Enamarbre, tandis que Asmidal (production de fertilisants) a été cédée partiellement à l'espagnol Villar Mir. Plus récemment, deux câbleries électrique et téléphonique de 700 employés chacune ont été rachetées par le groupe libanais Doumet. Un total de 27 briqueteries publiques sur 45 a également été cédé.

Mais dans un pays où le secteur productif perd de sa compétitivité, les investisseurs misent de plus en plus sur les services. S'il est un secteur où tout le monde retient son souffle actuellement, c'est bien le secteur financier, avec la privatisation longtemps attendue, mainte fois tentée, du Crédit populaire d’Algérie (CPA). Selon la banque Rothschild, banque conseil sur ce projet, l'appel d'offres sera lancé en septembre prochain accordera une part majoritaire au repreneur. Pour beaucoup d'observateurs financiers, cette première privatisation bancaire constitue pour le test par excellence de la volonté politique ou non de réformer le secteur.

Conscients que l'heureux élu dirigera la première banque du pays, la mieux gérée et disposant d'un réseau de plus de 125 agences, les candidats se bousculent au portillon : les français BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole mais aussi Citibank, notamment. Suivra ensuite la vente de la Banque de développement local (BDL), qui comme le CPA a bénéficié d’un assainissement financier. Ensemble, les deux banques représentent près de 30% du marché. Leur reprise créera un effet d’entraînement sur les autres banques incitées à se mettre à niveau.

Toujours dans les services, l'ouverture prochaine du capital d'Algérie Télécom, opération confiée à la banque d’affaire espagnole Santander suscite la convoitise des plus grands groupes étrangers. Le dossier serait déjà ficelé, selon les autorités algériennes. On attend de voir.

Au fil de la libéralisation de la plupart des secteurs économiques du pays la part du secteur public algérien décroît d'année en année. Mais si le processus de privatisation reprend un peu de souffle, les contraintes restent nombreuses. L'information demeure la plus rare des denrées, ce qui oblige les intéressés à passer par des cabinet d'experts tels que KPMG ou d'autres, pour réaliser leurs propres audits. Les résultats ne sont souvent pas publiés (cf. encadré). Le groupe Sim a dû lui-même annoncer à la presse son rachat des deux marques d’eau minérale, tout comme le groupe Flash celui de sa biscuiterie Cherchell. L'ouverture des plis fait parfois apparaître des offres farfelues d'acteurs non spécialisés dans le domaine ou sans surface financière, comme dans l'acquisition des cimenteries, souligne un professionnel du secteur, qui y soupçonne une manière de faire monter les enchères.

Tout est aujourd'hui privatisable insiste-t-on. A l'exception bien sûr de la compagnie pétrolière Sonatrach. Mais en sus de la libéralisation du secteur introduite par la nouvelle loi sur les hydrocarbures, l'Etat algérien ne voit pas vraiment d'intérêt national à privatiser la première entreprise d'Afrique, qui actuellement engrange des bénéfices records. On le comprend.

Nathalie Gillet

ENCADRE :

3 questions à Abdelaziz Zetchi,

Directeur général du Groupe Faïenceries Algériennes et Membre du Conseil exécutif du Forum des chefs d'entreprises

Quelle est votre appréciation du processus de privatisation en Algérie ?

Les entreprises algériennes applaudissent des deux mains lorsque l'Etat se retire et laisse au privé les affaires économiques pour garder son rôle de régulateur. Mais la manière ne nous plait pas. Les pouvoirs publics ne doivent pas penser à gagner de l'argent dans ce processus mais devraient être animés davantage par le soucis de pérennité des entreprises, leur développement, leur capacité à être à niveau et à répondre aux attentes de la population.

Que reprochez-vous exactement à ce processus ?

Il est trop lent et manque terriblement de transparence ! Un chef d'entreprise intéressé par une société à privatiser doit faire une manifestation d'intérêt et… attendre. En principe, l'Etat devrait élaborer un cahier des charges précis, publier l'ensemble des actifs dormants, les bilans, bref donner le maximum d'informations pour que le repreneur puisse choisir ou non de manifester son intérêt. Mais il n'y a pas de travail préparatoire de la part de l'Etat, c'est l'opacité totale. Le repreneur ne peut même pas visiter la société à privatiser, ne connaît ni son patrimoine ni son bilan ni ses dettes.

Nous pensons également que, vu le manque d'information, il faudrait laisser suffisamment de temps au repreneur pour étudier le dossier, faire appel à des consultants, être ainsi mieux à même de décider. En général vous avez un mois ou deux. Ce n'est pas possible ! En plus, même si on vous donne un temps précis, il arrive que vous soyez en train de travailler sur une entreprise, ayez engagé un cabinet d'experts, alors qu'une autre négociation engagée parallèlement a déjà abouti. En fait on ne nous avertit pas toujours que l'entreprise a déjà été vendue et que ce n'est plus la peine de travailler dessus !

Moi par exemple je manifeste un intérêt pour une céramique mais il y a peut-être une dizaine de concurrents qui font la même chose et je ne sais pas qui est sur cette affaire. Alors j'envoie une évaluation sommaire qui peut être rejetée comme elle peut être retenue. J'ai fait plusieurs demandes de rachat. Pour l'une d'entre elles, j'ai pu, à l'aide de contacts, entrer en négociation pendant près de 3 mois mais alors que nous étions bien avancés, on m'a envoyé un courrier pour me dire que l'offre n'avait pas été retenue. Et je ne sais ni qui a repris l'entreprise ni à quel prix ! Il n'y a aucune transparence dans la conduite du processus de privatisation.

Et la presse ne rapporte pas non plus les montants exacts ni les conditions dans lesquelles ont été vendues les entreprises, comment s'est fait le financement, etc. Résultat, on ne peut pas profiter de l'expérience des autres !

Les choses évoluent-elles ?

Le processus a été lent jusqu'ici parce qu'au début l'Etat obligeait le repreneur à maintenir l'activité. Quand vous repreniez une société de bâtiment, par exemple, vous ne pouviez faire autre chose, ce qui est totalement antinomique avec la liberté d'investir. Ensuite, il fallait maintenir la totalité du personnel. Ça aussi c'était anti-économique. Tous ces points, heureusement, ont été corrigés.

Propos recueillis par N.G.

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Fiche pays : Algérie 2005

Jeune Afrique, Hors série Etat de l'Afrique 2006, décembre 2005

L'événement politique majeur de l'année 2005 en Algérie aura été la tenue du référendum sur le projet de "charte pour la paix et la réconciliation nationale", le 29 septembre. Destinée à mettre fin aux violences terroristes et à tourner définitivement la page de la guerre civile, ce texte propose l'extinction des poursuites à tous ceux qui mettent fin à leurs activités armées ou qui se sont rendus aux autorités depuis janvier 2000, année de la Concorde civile. En sont exclus ceux qui pendant les années de tueries ont été impliqués dans des "massacres collectifs, les viols et les attentats à l'explosif dans les lieux publics”.
Partant sans doute d'une bonne intention et d'un désir d'aller de l'avant, il n'est cependant pas certain que cette démarche permette à elle seule de clore un chapitre aussi douloureux dans l'histoire de l'Algérie. Avec près de 98 % de "oui" (hors Kabylie : 11 %), la charte a en effet été approuvée à la suite d'une gigantesque campagne publicitaire officielle… à sens unique. Le grand débat national sur cette question majeure n'a pas eu lieu car les voix dissidentes des associations de victimes du terrorisme, d'ONG, de partis d'opposition ou d'intellectuels d'opinions différentes ont été étouffées.
Les Algériens, en outre, ont eu à se prononcer sans avoir de réponses à quelques questions fondamentales. Comment vont se dérouler les procédures qui feront la distinction entre ceux qui ont massacré et ceux qui sont éligibles à la clémence ? Quelles instances en seront chargées ? Va-t-on examiner tous les cas ? Et quid des assassinats individuels (donc non collectifs), commis par tel voisin ou par le fils d'untel, dans des villages où tout le monde se connaît ? Seront-ils ignorés ? Les mesures d'applications que prendra le Président Bouteflika cette année, selon la charte, devront apporter des éléments de réponse à ces questions.
"Beaucoup d'Algériens en réalité n'étaient pas prêts à se prononcer à ce moment-là et se sentent floués", explique un opérateur franco-algérien résidant à Alger. "Ils vivent le processus parfois de façon aigrie parce que les anciens "maquisards" retournés dans leurs villages ne montrent pas toujours de signes de repentance ou ont souvent un sentiment d'impunité", poursuit-il. En bref, on voudrait tourner une page avant-même de l'avoir lue et assimilée. Enfin, les autorités algériennes ne semblent pas non plus disposées à faire leur mea culpa sur la période concernée.
Abdelaziz Bouteflika n'en dispose pas moins d'une réelle popularité et son chaleureux accueil par la population de 31 décembre, après une longue convalescence à Paris en a été un témoignage. Le 26 novembre 2005, il était évacué d'urgence vers un hôpital parisien, où selon ses médecins il devait être opéré d'un ulcère à l'estomac. Ulcère ou cancer, le long silence qui a accompagné cette convalescence n'aura rien fait pour calmer les spéculations. La question de sa continuité au pouvoir est dans tous les esprit pour 2006.
Sur le plan international, cette année devait être celle du Traité d'amitié avec la France. S'il n'en a rien été en 2005, c'est à la loi française du 23 février qu'il faut en faire le premier reproche et aux tensions qu'elle a générées en enjoignant les professeurs d'histoire en France à enseigner le “rôle positif” de la colonisation. La réécriture ou la révision de cette loi devrait relancer le processus en 2006.

Sur le plan économique, le bilan de l'année 2005 a en revanche été clairement enthousiasmant, non seulement parce que la flambée du brut donne aujourd'hui à l'Algérie une aisance financière inédite dans son histoire, mais aussi parce que le gouvernement s'est engagé dans de grands projets d'infrastructure et a lancé des réformes importantes, dont il faudra suivre l'aboutissement effectif. Un vent d'optimisme souffle à nouveau, malgré (ou grâce…) la dépendance du pays à l'égard des hydrocarbures, qui représentant près de 98 % des exportations algériennes.
La compagnie nationale Sonatrach, de loin première entreprise du continent africain, a engrangé 39 milliards de dollars en 2005, soit 10 milliards de plus que l'année précédente. L'excédent de la balance commercial a atteint 22,6 milliards en 2005. La dette externe est passée en dessous des 20 milliards de dollars contre plus de 33 milliards il y a 10 ans. Les réserves de change à fin 2005 s'établissent à 56 milliards, niveau jamais été atteint depuis l’indépendance, soit plus de deux ans d’importations !
Aujourd'hui, la croissance dépasse les 5 %. Même le chômage, traditionnelle plaie en Algérie connaît, si l'on en croit les statistiques officielles, une baisse phénoménale : 15,2 % en 2005, contre 30 % en 1999 ! Il continue cependant de toucher durement les moins de 30 ans mais dans le contexte des projets de développement et de construction, les entreprise se remettent à recruter.
Le défi sera de transformer cette nouvelle richesse en croissance durable, pour permettre à l'ensemble des Algériens d'en profiter, ce uni pour le moment est loin d'être le cas. Selon le PNUD, près de 12 millions d'entre eux (sur une population de 32 millions d'habitants !) vivent avec moins de 2 dollars par jour.
Le plan quinquennal de soutien à la relance économique (PSRE) prévoit un investissement de près de 60 milliards de dollars pour 2005-09. Des projets de barrages, de stations de dessalement, s'ajoutent ainsi à la relance de chantiers en souffrance, comme le métro d'Alger (en cours de finalisation), les chemins de fer, le nouvel aéroport d'Alger. Le projet de construction de un million de logements d’ici à 2009 sera certes impossible a réaliser dans les délais mais de nouvelles habitations n'en sont pas moins construites, notamment par des entreprises chinoises (main d'œuvre comprise…).

A côté de cette embellie, des décisions importantes ont été prises l'an passé pour moderniser l'économie, voire initier un début de transparence. Le capital social minimum exigé pour les sociétés d'importation et les banques a été relevé. La réforme bancaire a été relancée (cf. encadré). Le marché algérien s'est ouvert à la grande distribution, ce qui devrait révolutionner les vitrines de ce pays des supérettes et d'épiceries, ainsi que les modes de consommation. Après la chaîne du groupe algérien Blanky, c'est au tour de la chaîne française Carrefour d'avoir inauguré en janvier 06 son premier magasin en Algérie. De son côté, Cetelem, filiale de la banque française BNP Paribas, prévoit d'investir en masse le créneau du crédit à la consommation dans le pays.

ENCADRE :

La réforme bancaire

La plus attendue est la réforme bancaire, dont on parle depuis longtemps mais qui depuis 2005 connaît un second souffle. L'archaïsme de ce secteur représentait jusqu'ici l'un des freins principaux à l'activité économique et à l'investissement (cf. notre Hors-Série Banques). L'informatisation et la modernisation des équipements de toutes les banques a été lancée. Premier volet visible : la monétique. Un système de règlement interbancaire devait théoriquement entrer en application en janvier 2006, permettant des virements en temps réel, les chèques pourront être débités en 5 jours (au lieu de 3 mois dans certains cas actuellement). En 2006 les cartes de retrait et de paiement commenceront à être systématisées. Les particuliers pourront retirer leur argent dans tous les distributeurs automatiques et régler leurs achats auprès d’un réseau encore limité de commerçants.
"In cha allah"... Car l'aboutissement de la réforme, véritable révolution, implique que les bénéficiaires du système actuel acceptent la transparence qui en résultera nécessairement et qui risque de gêner des circuits de rente clientélistes. Ce sera l'un des défis pour les prochaines années.
D'une manière générale, le climat d’affaires s'est sensiblement amélioré et une place plus grande est faite au secteur privé. La gestion de la distribution d’eau dans la capitale sera confiée cette année au français Suez, principe qui devrait être étendu aux villes de Constantine, d'Annaba et d'Oran. Algérie Télécom devrait toutefois être ouvert à la privatisation cette année. Le programme de privatisation est à la traîne (à peine 10 % des 1200 entreprises prévues) mais les acheteurs y voient un moyen d'accéder à du terrain, dont l'acquisition en Algérie est un parcours du combattant. C'est surtout dans les hydrocarbures que se dirige l'essentiel des IDE. Une nouvelle loi dans ce secteur, introduisant un nouveau partage de la rente pétrolière devrait permettre à partir de juin, la cession de blocs d’exploration sur appels d’offres.
Reste à l'économie algérienne à se mettre à niveau pour résister à la compétition des produits importés de l'UE, depuis l'entrée en vigueur en septembre 2005 de l'accord d'association. Les défis économiques et sociaux sont nombreux mais les démarches lancées en 2005 devraient commencer à porter leurs fruits en 2006.
Nathalie Gillet

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Mittal Steel Annaba, success story d'une privatisation

Jeune Afrique, Hors-série "500 Entreprise", novembre 2005

Les employés du grand complexe sidérurgique algérien El-Hadjar ont aujourd'hui retrouvé le sourire. Deux grandes compagnies publiques seulement ont été privatisées en Algérie durant le premier quinquennat du Président Bouteflika, et le site d'El Hadjar a été l'une d'entre elles. C'est en octobre 2001 que le groupe indien Ispat (aujourd'hui Mittal Steel) a repris à hauteur de 70% (contre 30% pour l'Etat) l'essentiel de ses activités autrefois propriété à 100% de la compagnie publique Sider : au total une dizaine sur les 22 filiales de Sider ont été reprises, dont Alfasid, le cœur du complexe.
Pour ces ouvriers et ces cadres qui 5 ans auparavant comptaient encore les jours de leur compagnie agonisante, la privatisation aura été une véritable aubaine, si l'on en juge par les résultats qu'affiche fièrement la nouvelle société Mittal Steel Annaba. D'une production de 700 000 t à peine on est passé aujourd'hui à 1,2 million aujourd'hui; le déficit d'exploitation de 500 millions de dollars en 2000 s'est transformé en un résultat positif en 2003, pour atteindre un bénéfice de 130 millions en 2004, avec un chiffre d'affaires de près de 500 millions de dollars selon Sanjay Kumar, le PDG de Mittal Steel Annaba. A côté de cela, les salaires ont été revalorisés, les conditions de travails améliorées, le tout sans licenciements, mais avec des départs à la retraite ramenant les effectifs de 10 400 à 9 000, avant de recruter à nouveau.
De son côté le groupe indien aussi se montre satisfait. Situé à 12 km d'Annaba, dans à la zone industrielle de Sidi Amar, idéalement au bord de l'eau, le complexe de 800 ha présente des avantages comparatifs certains, qui permettent de valoriser les ressources nationales : le gaz pour la production d'énergie, le fer, certes de qualité moyenne mais acceptable, extrait à 80 km, dans les propres mines du groupe : Ouenza et Boukhadra, toutes deux situées dans la wilaya de Tebessa. Leur potentiel est estimé à environ 60 millions t (contre 3,5 milliards dans celles du Sud-Ouest du pays). Seul manque le charbon, que l'Algérie doit importer sur les marchés internationaux pour fabriquer le coke nécessaire à la production d'acier. El-Hadjar est un complexe intégré , le plus grand de la région, avec ses deux haut fourneau, des aciéries, plusieurs laminoirs.

Comment l'Algérie devenue si hésitante aujourd'hui sur les privatisations a-t-elle pu en un an céder l’un des fleurons de son industrie ? Durant les années 1990, cette décennie noire, l’Algérie se trouvait au bord de la cessation de paiement. Pour faire face à la chute de son activité, Sider avait été parmi les rares entreprises publiques à procéder à la réduction massive de ses effectifs : près de 12 000 personnes sur 22 000. A la fin de la décennie, refusant de mettre plus longtemps la main à la poche pour porter à bout de bras cette entreprise exsangue, autrefois fierté nationale, le gouvernement algérien, envisagea de céder sa sidérurgie au secteur privé. La décision prise en 2000, le premier contact avec le repreneur a été engagé en octobre de la même année. Un an plus tard, en octobre 2001, l'affaire était bouclée.
Deux candidats avaient été approchés par les autorités algériennes : le groupe indien Ispat LNM et le français Duferco. C'est le premier qui rapidement a su convaincre de ses potentialités. Spécialiste des causes perdues, le groupe en avait vu bien d'autres avant : des unités de l'ancien bloc soviétique (Kasakhstant, Pologne, République Tchèque), au Mexique, en passant par l'Indonésie, la reprise d'installations décrépites dont plus personne ne veut est sa spécialité.
Avec le licenciement de plus de la moitié des effectifs, "la privatisation avait pris l'allure d'une bouée de sauvetage au point que certaines des activités non inclues dans le champ des privatisations avaient demandé à en faire partie !!", explique Djamal Mostefai, représentant de la Banque mondiale en Algérie jusqu'en 2004, après avoir travaillé plus de 10 ans dans la sidérurgie en Algérie : "Le complexe était pratiquement à l'arrêt, tout le monde craignait cessation d’activités, dans un contexte sécuritaire également préoccupant". "Mais la gestion du processus a été remarquable", poursuit M. Mostefai. Une bonne préparation associée à un dialogue social fort, selon le secrétaire général du puissant syndicat UGTA.
Vendue au final pour une bouchée de pain avec des engagements relativement faciles à réaliser pour le repreneur, compte tenu du potentiel de développement, le complexe d'El-Hadjar a retrouvé le chemin de la croissance qui lui manquait. Les 120 millions d'investissement sur 10 ans ont été depuis longtemps réalisés (cf. encadré) et les postes de travails préservés. Mittal Steel Annaba constitue aujourd'hui l'exemple pratique à mettre en avant par le président Bouteflika pour convaincre du bien-fondé des privatisations en Algérie.
"Attention, dire aujourd’hui que c’est le management privé a été plus efficace que le public n'est pas entièrement pertinent", nuance M. Mostefaï. "Le repreneur évolue aujourd'hui dans un contexte complètement différent de celui de l'ancienne équipe dirigeante. Les contraintes bureaucratiques de l'époque étaient phénoménales ! Il fallait une trentaine de tampons pour chaque opération. Licencier était impossible, sanctionner très difficile, mener des transactions banales d'achat un cauchemar !".
Mais parallèlement, quelques erreurs stratégiques ont été commises. Fallait-il véritablement intégrer le complexe ? Ou commencer par des produits plats, technologiquement plus complexes à réaliser que les produits longs ? Ce sont des questions auxquelles le nouveau repreneur a dû répondre en élaborant sa propre stratégie (cf. encadré).
Aujourd'hui premier producteur mondial avec près de 60 millions de tonnes par an (contre 15 au moment du rachat d'El Hadjar en 2001), le groupe indien a fait profiter son industrie algérienne de son savoir-faire technologique mais aussi en matière de management. Rigueur et discipline sont devenus des concepts bien concrets : les retards ou l'absentéisme sont sévèrement sanctionnés et les responsables soumis à un cahier des charges précis. Une vingtaine d’expatriés indiens auraient d'ailleurs été renvoyés pour mauvaises performances. Des performances d'autant plus nécessaires que les allègements fiscaux conclu pour 5 ans arrivent à leur terme…
Aujourd'hui, 90% de la production est destinée au marché algérien, le reste étant exporté au Maroc et en Tunisie, affirme M. Kumar. Le marché local est en croissance mais dépend cependant de la politique d'investissement du gouvernement algérien. Le vent, pour le moment, souffle dans la bonne direction car la manne pétrolière ayant permis à l'Algérie de renflouer ses caisses, celle-ci s'est engagée dans des plans importants d'infrastructures et de logements sociaux : autant de contrats prévisibles pour le complexe. La donne pourrait cependant changer dans un contexte de cours du pétrole moins favorable, peut-être alors à un moment où le complexe aura justement accru sa capacité de production. En 2007, le complexe devrait avoir aura son 3e laminoir d’une capacité de 600 000 tonnes. Les responsables du complexe tablent sur une production de 44 000 tonnes/jour pour atteindre les objectifs ambitieux affichés. La part d'exportation sera donc amenée à se développer considérablement.
Autre inconnue : lors de la privatisation du complexe, le gouvernement algérien s'était engagé à préserver le cadre douanier. "Mais ils n'ont pas tenu leur promesses !", constate Sanjay Kumar. "La taxe sur l'importation d'acier devait être maintenue pendant 10 ans. Mais en septembre, son accord d'association avec l'Union européenne est entré en vigueur, et lui impose de supprimer les barrière tarifaire sur les importations en provenance de l'UE. La taxation de l'acier a donc été ramenée à 0 ! Le contre-argument du gouvernement algérien est qu'actuellement il n'y a pas d'importations en provenance de l'UE. Nous restons donc en contact avec eux sur le sujet. Si les choses devaient évoluer autrement, nous reprendrions nos discussions. Mais attendons de voir", poursuit le PDG de la compagnie.

Toutes proportions gardées, la part de la production algérienne sur le total de l'activité du groupe demeure faible. Depuis la fusion entre Ispat International et LNM Holdings et les acquisition d'usines notamment en Europe de l'Est, Mittal Steel produit 60 millions de t par an, contre 15 millions au moment de l'achat d'El Hadjar en 2001. Le rachat au début de l'année de l’américain International Steel Group (ISG, moyennant la coquette somme de 4,5 milliards de dollars), a propulsé le groupe au premier rang mondial, devant le français Arcelor (42,8 millions t en 2004).
La production algérienne est également inférieure aux unités que le groupe indien a rachetées en Afrique du Sud (son autre site de production sur le continent africain) : 4 unités situées en 4 lieux différents, appartenant à la même compagnie. "En Algérie nous produisons 1,2 million t, pour 10 000 employés. En Afrique du Sud, nous produisons 6,5 millions avec 13 000 employés ayant une plus grande qualification".
Pour l'avenir, le groupe indien a en tous les cas soumissionné à un nouvel appel d'offres international pour l’acquisition de nouvelles unités de production du site de El-Hadjar. Il semble bien positionné par rapport ses concurrents allemand et anglais. De leur côté, les syndicalistes de ces unités, tout comme leurs homologues de Mittal Steel Annaba, convaincu de ses avanatges ne jurent plus que par la privatisation.
Nathalie Gillet

ENCADRE

Trois questions à Sandjay Kumar PDG de Mittal Steel Annaba
(en poste depuis août 2004)

Les résultats obtenus par votre groupe en Algérie sont plutôt encourageants. Comment avez-vous relancé la machine ?
Sanjay Kumar : La première chose a été de concentrer nos efforts sur l'amélioration de la production d'acier. Ces efforts se poursuivent car ce n'est pas facile de relancer une usine qui a fonctionné pendant 50 ans sans véritable politique de maintenance. Pendant 4 ans, nous avons dépensé beaucoup d'argent en réparations et en remplacement des équipements : 30 millions par an, ce qui a permis d'améliorer la production à 1 million de tonnes. Normalement pour 1 million de tonnes, nous ne dépensons que 10 à 12 millions de dollars en maintenance. Mais le travail nécessaire n'avait pas été fait avant.
Mais la maintenance ne concerne pas seulement la réparation des machines. Il a aussi fallu améliorer les comportements relatifs à ce domaine, c'est-à-dire instaurer une maintenance de prévention. Nous avons également repris les ateliers permettant de produire nos propres pièces détachées, le tissu de fournisseurs restant encore très limité en Algérie.
Ensuite il a fallu constater que la capacité de l'usine ne répondait pas au marché national, demandeur à 70% de produits longs (fil machine ou rond à béton, par exemple, utilisés dans l'industrie du bâtiment, la construction de routes etc.). Mais sur 2,5 millions de tonnes de capacités, 0,3 million seulement étaient constitués de ces produits, le reste étant des produits plats, théoriquement utilisés dans l'industrie automobile, la fabrication de réfrigérateurs et autres appareils électroménagers. Or il y a très peu de demande en produits plats en Algérie, puisque le pays n'a pas encore d'industrie de ce type.

Comment expliquez-vous ce décalage au départ entre l'offre et la demande ?
C'était une erreur de planification, commise à une époque où les dirigeants politiques voulaient s'appuyer sur le complexe pour industrialiser le pays. C'étaient les années euphoriques d'après l'indépendance. J'ai vu la même chose se dérouler en Inde, je peux donc très bien comprendre cette manière de penser. Mais ce n'est pas comme cela que vous faites tourner une affaire. Vous ne devez produire que ce que vous pouvez commercialiser.
Nous avons donc lancé en 2002 un projet dans lequel nous avons investi $ 45 millions : la mise en place d'un nouveau laminoir. Cela fait maintenant un an et demi qu'il fonctionne et sur les 1,2 millions t produites, 0,7 million sont des produits longs destinés au marché national. En conséquence l'usine fonctionne aujourd'hui sur de bonnes bases financières. Elle n'a plus eu besoin de subvention étatique et nous générons nos propres fonds destinés à financer nos programmes dans l'avenir.

Quels sont aujourd'hui vos projets de développement ?
De nos jours un site qui ne produit pas 5 millions de t par an n'est pas viable sur le long terme. Nous voulons donc aller dans cette direction et améliorer la production. Nous avons modernisé un laminoir mais il faut continuer cet effort. Cela devrait être le cas d'ici à 2007. Fin 2007, je projette d'augmenter la production à 2,5 millions de t. Et lorsque nous aurons atteint ce chiffre, mon but est de passer à 5 millions d'ici à 2010.
Le gouvernement veut par ailleurs privatiser d'autres unités utilisatrices d'acier : fabriques de tubes, de produits à partir de fil machine, unités d'emballage (tels les bouteilles à gaz) . Nous avons sélectionné celles qui pouvaient s'inscrire dans l'activité de nos laminoirs, comme les tubes, qui font partie de notre activité à l'échelle mondiale. Nous en avons laissé de côté 3-4; le packaging, par exemple, n'entre pas dans notre cadre et nous n'avons pas postulé. Mais pour ces prochaines acquisitions, les dossiers sont toujours en phase négociation avec le gouvernement.
Propos recueillis par Nathalie Gillet

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Algérie : les réformes attendues de pied ferme

Jeune Afrique, Hors-série Banques, septembre 2005

“J’attends des dirigeants de banques qu’ils accélèrent la réforme bancaire… “Nous n’avons rien vu depuis 1999, nous n’avons plutôt vu que du gaspillage”. C'est dans ces termes que le Président algérien Abdelaziz Bouteflika s'adressait en avril dernier aux cadres de la nation. En matière de gaspillage, les Algériens ont été en effet bien servis ces 3 dernières années. Secoué par les scandales financiers à répétition, du nom tristement célèbre de Khalifa, BCIA ou Union Bank, le pays se remet mal de la crise de confiance généralisée. La réforme du secteur, évoquée depuis 1999, est donc très attendue. Elle n'a démarré qu'en automne dernier, après la nomination d'un nouveau gouvernement.
En 1990, la loi relative à la monnaie et au crédit avait déjà chamboulé les règles du jeu en autorisant la création de banques privées (une quinzaine aujourd'hui). Mais malgré cela, l'Algérie demeure l'un des dernier pays du monde où plus de 90% de l'activité bancaire est encore dominée par le secteur public, avec une qualité de services relativement médiocre. Les 6 banques publiques, Crédit populaire d'Alger (CPA), Banque de l'agriculture et du développement rural (BADR), Banque nationale d'Algérie (BNA), la Banque extérieure d'Algérie (BEA, dont le chiffre dépend aux ¾ de la compagnie pétrolière Sonatrach), la Caisse nationale d'épargne et de prévoyance (CNEP) et la petite Banque du développement local (BDL, collectivités locales), ont ainsi fourni 93% des prêts à l’économie en 2004, pour un total de 1535 milliards de dinars.
Le secteur bancaire algérien a longtemps fonctionné "par injonction", généralement un coup de téléphone passé à une banque publique lui enjoignant de prêter à tel conglomérat. Véritable réceptacles des dettes des entreprises publiques, les banques publiques algériennes, appelées parfois "banques hôpital", ont cependant bénéficié ces dernières années de renflouements colossaux de la part de l'Etat. Selon l'expert financier El Hachemi Siagh, ces plans d’assainissement auraient coûté plus de 26 milliards de dollars et devraient se poursuivre prochainement pour un montant de 4 milliards.
Les banques privées en revanche sont essentiellement étrangères ou à capitaux mixtes : Société Générale Algérie, Natexis, BNP-Paribas, El Baraka Bank, ABC, SGCI, Algerian international bank, Al Rayan Bank, Banque générale méditerranéenne, Sofinance, Citibank, Arab Bank, Trust Bank, CAB, Arcobank. Elles réalisent 7% de l'activité bancaire (5% pour les trois françaises). Leurs petits réseaux algériens leur permet d'accompagner les entreprises du pays d'origine et d'exploiter le fort volume d'importations algériennes. Même si par leur taille elle ne peuvent encore de satisfaire les besoins de grosses entreprises algériennes, l'expertise qu'elles apporte avec un personnel bien formé devrait constituer à la longue une concurrence sérieuse dans un milieu miné par la méfiance.

Le premier objectif de la réforme est donc de moderniser la gestion des transactions financières. Le secteur financier algérien est en effet l'un des plus archaïques de la région. Il constitue davantage un système de caisse, qui recueille des dépôts sans vraiment trouver à les employer. Actuellement, le délai moyen d'encaissement d'un chèque est d'environ 2 semaines lorsque (par chance) il provient d'une même banque située dans la même ville. Mais on atteint facilement 5 semaines lorsqu'il s'agit d'une banque différente et située dans une autre ville, voire 3 mois dans certains cas.
Les entreprises choisissent souvent de transporter elles-mêmes, physiquement, leurs chèques vers la chambre de compensation tandis que les employeurs du privé paient leurs salariés en espèces. Certains importateur à Alger vont jusqu'à monter des succursales dans d'autres villes pour faciliter les paiements. De leur côté, les banques étrangères constituent leur propres navette de compensation.
Un centre de télécompensation bancaire de masse doit cependant être installé à Alger, dans le cadre de la réforme et c'est la société française Atos Origine qui s'est placée sur le marché. "Début 2006, nous pourrons payer et échanger les chèques sans les envoyer dans les 1 200 agences du pays", promet Abderrahmane Benkhalfa, secrétaire-général de l’Association des banques et des établissements financiers (Abef).
L'usage de la carte bancaire est de son côté extrêmement limité. Et pour cause, le système ne marche pas. Les quelques 10 000 cartes qui circulent sur le marché ne sont que des cartes de retrait (plus d'un tiers revenant aux clients du CPA) et encore, celles-ci ne sont acceptées que dans les distributeurs de la même banque. Ne parlons pas des cartes internationales qui ne sont acceptées que dans certains grands hôtels.
La réforme promet pour le second semestre l'arrivée d'une carte de paiement interbancaire. Une expérience pilote est menée depuis mars dernier auprès de 1500 commerçants et 50 000 porteurs de cartes. Ces dernières sont valables dans tous les distributeurs et permettent de régler ses achats dans les commerces équipés.
Sur le plan des équipement, seule Algérie Post dispose pour le moment d'un réseau informatique qui relie toutes ses agences. "Les agences des autres banques mettent en général leur journée comptable sur une disquette et envoient un coursier au siège pour procéder à la clôture des banques", indique un banquier. Résultat, "les banques ont du mal à savoir exactement de combien elles disposent dans l'ensemble de leurs agences". C'est de fait Algérie Post qui va se trouver en pole position pour tester les premières avancées en matière de monétique.
Un mouvement de modernisation est lancé; malgré l'impression générale d'inertie, les choses semblent en effet bouger. "A l'heure d'aujourd'hui, toutes les banques publiques ont lancé leurs appel d'offres pour l'acquisition courant 2006 de nouveaux équipements", rapporte Pierre Mourlevat, chef de la Mission économique française à Alger. Mais cette modernisation doit encore s'accompagner de celle de la place, et l'arriver au centre de télécompensation.
En attendant, l'offre de produits financiers des banques algériennes demeure très limitée. Il s'agit essentiellement de comptes courant et de crédit (immobilier, automobile, leasing de plus en plus) et de quelques comptes d'épargne, qui sont essentiellement proposés par la Poste algérienne. "On n'en parle pas beaucoup parce qu'elle ne propose pas de crédit mais c'est l'un des acteurs les plus dynamiques du secteur et des plus présents sur le réseau algérien pour des raisons historiques", explique un expert de Ernst & Young, qui fait référence aux 3 300 bureaux de poste actuels. Ses produits d'épargne sont en effet peu sophistiqués mais ils fonctionnent.
Le point noir de la réforme demeure la Bourse, affirme le Dr El Hachemi Siagh. Plus de 5 ans après sa création, celle-ci ne compte que trois titres négociables : Hôtel El Aurassi, Eriad Sétif et Saïdal. C'est davantage sur les marchés obligataires et hypothécaires, que des avancées ont été enregistrées. "Les émissions d'emprunts obligataires qui avaient eu lieu en 2003 étaient réservées aux institutionnels mais celles de 2004 ont été ouvertes aux particuliers, notamment avec Air Algérie", rapporte M. Mourlevat. Le gouvernement espère sans doute voir ces emprunts ensuite renégociés en Bourse sur le marché secondaire. Mais les emprunts obligataires ne rencontrent qu'un succès limité auprès des particuliers. Ce sont essentiellement des institutionnels ou gros investisseurs qui y souscrivent. Evoquée pour la énième fois, la privatisation partielle de 11 entreprises algériennes doit elle aussi redynamiser la Bourse. Elle est annoncé en tous les cas pour la rentrée 2005.
Autre gros volet de la réforme, la privatisation des banques publiques. S'il est un tabou qui a été levé en Algérie c'est bien celui-là. Non seulement la nécessité de privatiser en vue d'un transfert de savoir-faire est aujourd'hui acquis mais en plus, 51% du capital pourra désormais être cédé à l'heureux élu. Ce dernier, à fortiori une banque étrangère, aura donc théoriquement le contrôle absolu du navire. Trois banques sont "au menu" : le CPA, la BDL et à plus longue échéance la BNA. A elles seules elles représentent 45% du marché national. Le processus commence cette année avec le CPA. En juillet dernier, un appel d'offre a été lancé pour la sélection d'une banque conseil. Celle-ci devrait être désignée à l'automne pour permettre de lancer l'opération de privatisation au 1er semestre 2006. La sélection finale est attendue d'ici à fin 2006.
Mais plus que tout effort de modernisation, c'est le retour à la confiance qui constitue le plus gros défi en Algérie. "Depuis l'affaire Khalifa, tout se paie en liquide. On voit des gens arriver à la banque avec de gros sacs de sport", rapporte Pierre Boury, entrepreneur présent dans le secteur pharmaceutique. Le salaire des fonctionnaires est viré sur une compte bancaire mais ces derniers récupèrent la totalité de la somme dès le premier jour du mois. "Même le fisc veut du cash !!! Et pour régler ma note de téléphone, c'est la même chose", ajoute un autre opérateur.
L'affaire Khalifa a constitué la plus grande escroquerie de l'histoire de l'Algérie et surtout révélé de graves insuffisances en matière de contrôle bancaire. La facture est lourde à payer aujourd'hui pour de nombreuses familles qui, se détournant du secteur public, y avaient placé des années d'économies. Des milliers d'immigrés en France auraient également "perdu en moyenne entre 50 000 et 60 000 €, chacun, voire dix fois plus pour certains d'entre eux», indique le Collectif des épargnants immigrés, créé en mars dernier.
Avant la chute du groupe Khalifa (aussi fulgurante que son ascension), ni la Banque d’Algérie (banque centrale) ni la Commission bancaire n'avaient veillé au respect des règles prudentielles, alors que Khalifa proposait des taux de 13 à 17% (contre 5 à 6 % pour les banques publiques). Selon Moncef Badsi, son liquidateur judiciaire nommé en juin 2003, "ce sera un miracle si nous arriverons à récupérer 10% des actifs du groupe". Près de 250 000 petits épargnants dont les dépôts ne dépassaient pas 600 000 DA (6000 euros seulement à l'époque) devraient être dédommagés. Mais on est encore loin du compte et la majorité, comme les entreprises en sont restés pour leurs frais.
Quelques mois après la liquidation, la BCIA, autre banque privée fermait boutique à son tour. Ce qui au départ n'était qu'un simple litige commercial avec une banque publique, la BEA, avait fini par virer à la banqueroute. Le préjudice causé au Trésor public est évalué à 132 milliards de dinars et les principaux actionnaires de la banque, la famille Kherroubi, seraient réfugiés en Espagne. Quant à Union Bank, première banque privée à ouvrir en Algérie, et qui avait réalisé un retour sur investissement de 67% la première année et de 107% la deuxième, son agrément a été retiré à en avril 2004 avant sa liquidation en juillet 2004. Le groupe, qui comptait des filiales dans plusieurs secteurs avait fini par succomber à la concentration de ses risques, à l'évident problème éthique et à des luttes internes.
"Avant que des personnes physiques ne confient de nouveau des fonds à des banques privées algériennes, de l'eau aura coulé sous les ponts", commente un expert. Une circulaire impose même officiellement aux entreprises publiques de verser leurs fonds dans des banques publiques. Il ne reste aujourd'hui plus que la petite Arcobank, dirigée par le groupe Rahim (communications, informatique) et la Compagnie algérienne de banque (CAB) pour donner le change. Mais la confiance est perdue.
Les quelques tardives mises en examen spectaculaires d'anciens ministres et haut-fonctionnaires n'y changeront pas grand chose à court terme. Des mesures sont prises et l'on jugera par les fait leur efficacité. La Banque centrale a par exemple aujourd'hui durci les standards d'agrémentation. Les autorités ont relevé le capital minimum à 2,5 milliards de dinars (contre 500 millions auparavant) et mis en place en mai 2004 la Société de garantie des dépôts bancaires, le fameux mécanisme de protection des épargnant qui devait démarrer en 1990. En janvier 2005, une loi contre le blanchiment d'argent a été adoptée. En outre la convertibilité du dinar et le rapatriement des bénéfices et des dividendes des entreprises étrangères sont en train de s'assouplir. Le 9 mai dernier, les directeurs généraux de plusieurs banques ont été remplacés : CPA, BEA, Badr et Cnep (le partenaire de la poste).
"On revient par ailleurs depuis quelque temps à un principe de spécialisation des banques publiques, de recentrage sur les missions de base", ajoute Pierre Mourlevat. La Badr se recentre ainsi sur l'agriculture et la Cnep sur le financement de la construction, les autres ayant vocation à rester universelles et à accueillir des participations étrangères.
Les perspectives de croissances sont réelles dans ce pays où un citoyen seulement sur 5 possède un compte en banque. Mais pour le moment et comme ailleurs dans la région, les banques financent l'économie avec une grande frilosité en Algérie. La moyenne d'attente pour un crédit d'investissement demeure d'environ 9 mois. Environ un tiers des prêts algériens vont au secteur privé aujourd'hui, mais essentiellement pour le financer des activités d'importation – pour l'investissement on repassera). Leurs liquidités sont pourtant importantes : plus de 14 milliards de dollars avec 43 milliards de réserves en devises. Mais ces ressources proviennent surtout des exportations d'hydrocarbures de la Sonatrach, de l’épargne à courte terme des ménages et des plans d’assainissement. Elles ne sont donc pas automatiquement transformables en crédits. La sur-liquidité caractérise pour ces mêmes raisons bien davantage les banques publiques que les autres.
Malgré cela l'argent tourne. Il tourne mais de manière informelle. "Il y a le loyer officiel et le loyer officieux (celui qui est versé sur un compte en France)", confie par exemple un industriel français. Les importations algériennes notamment ont été financées en 2004 en espèces à raison de 80%. Voilà un système qui à plusieurs niveaux se passe des banques, contournant allègrement, à sa manière, l'absence de marché des changes.
"La volonté politique de réformer est clairement là" répète-t-on à l'envi dans les milieux financiers et les dernières évolutions semblent encourageantes. Mais le secteur aura besoin de toutes les énergies pour faire oublier les mauvais coups du passé. "J'attends de voir comment la privatisation du CPA sera menée", avance de son côté un expert financier. "Si elle aboutit, ce sera un signe que le secteur va s'ouvrir mais si pour la 3e fois elle est annulée, l'impact sera très négatif". Rendez-vous est donc pris.
Nathalie Gillet


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Fiche pays : Algérie 2005

Jeune Afrique, Hors série Etat de l'Afrique 2006, Décembre 2005

L'événement politique majeur de l'année 2005 en Algérie aura été la tenue du référendum sur le projet de "charte pour la paix et la réconciliation nationale", le 29 septembre. Destinée à mettre fin aux violences terroristes et à tourner définitivement la page de la guerre civile, ce texte propose l'extinction des poursuites à tous ceux qui mettent fin à leurs activités armées ou qui se sont rendus aux autorités depuis janvier 2000, année de la Concorde civile. En sont exclus ceux qui pendant les années de tueries ont été impliqués dans des "massacres collectifs, les viols et les attentats à l'explosif dans les lieux publics”.
Partant sans doute d'une bonne intention et d'un désir d'aller de l'avant, il n'est cependant pas certain que cette démarche permette à elle seule de clore un chapitre aussi douloureux dans l'histoire de l'Algérie. Avec près de 98 % de "oui" (hors Kabylie : 11 %), la charte a en effet été approuvée à la suite d'une gigantesque campagne publicitaire officielle… à sens unique. Le grand débat national sur cette question majeure n'a pas eu lieu car les voix dissidentes des associations de victimes du terrorisme, d'ONG, de partis d'opposition ou d'intellectuels d'opinions différentes ont été étouffées.
Les Algériens, en outre, ont eu à se prononcer sans avoir de réponses à quelques questions fondamentales. Comment vont se dérouler les procédures qui feront la distinction entre ceux qui ont massacré et ceux qui sont éligibles à la clémence ? Quelles instances en seront chargées ? Va-t-on examiner tous les cas ? Et quid des assassinats individuels (donc non collectifs), commis par tel voisin ou par le fils d'untel, dans des villages où tout le monde se connaît ? Seront-ils ignorés ? Les mesures d'applications que prendra le Président Bouteflika cette année, selon la charte, devront apporter des éléments de réponse à ces questions.
"Beaucoup d'Algériens en réalité n'étaient pas prêts à se prononcer à ce moment-là et se sentent floués", explique un opérateur franco-algérien résidant à Alger. "Ils vivent le processus parfois de façon aigrie parce que les anciens "maquisards" retournés dans leurs villages ne montrent pas toujours de signes de repentance ou ont souvent un sentiment d'impunité", poursuit-il. En bref, on voudrait tourner une page avant-même de l'avoir lue et assimilée. Enfin, les autorités algériennes ne semblent pas non plus disposées à faire leur mea culpa sur la période concernée.
Abdelaziz Bouteflika n'en dispose pas moins d'une réelle popularité et son chaleureux accueil par la population de 31 décembre, après une longue convalescence à Paris en a été un témoignage. Le 26 novembre 2005, il était évacué d'urgence vers un hôpital parisien, où selon ses médecins il devait être opéré d'un ulcère à l'estomac. Ulcère ou cancer, le long silence qui a accompagné cette convalescence n'aura rien fait pour calmer les spéculations. La question de sa continuité au pouvoir est dans tous les esprit pour 2006.
Sur le plan international, cette année devait être celle du Traité d'amitié avec la France. S'il n'en a rien été en 2005, c'est à la loi française du 23 février qu'il faut en faire le premier reproche et aux tensions qu'elle a générées en enjoignant les professeurs d'histoire en France à enseigner le “rôle positif” de la colonisation. La réécriture ou la révision de cette loi devrait relancer le processus en 2006.

Sur le plan économique, le bilan de l'année 2005 a en revanche été clairement enthousiasmant, non seulement parce que la flambée du brut donne aujourd'hui à l'Algérie une aisance financière inédite dans son histoire, mais aussi parce que le gouvernement s'est engagé dans de grands projets d'infrastructure et a lancé des réformes importantes, dont il faudra suivre l'aboutissement effectif. Un vent d'optimisme souffle à nouveau, malgré (ou grâce…) la dépendance du pays à l'égard des hydrocarbures, qui représentant près de 98 % des exportations algériennes.
La compagnie nationale Sonatrach, de loin première entreprise du continent africain, a engrangé 39 milliards de dollars en 2005, soit 10 milliards de plus que l'année précédente. L'excédent de la balance commercial a atteint 22,6 milliards en 2005. La dette externe est passée en dessous des 20 milliards de dollars contre plus de 33 milliards il y a 10 ans. Les réserves de change à fin 2005 s'établissent à 56 milliards, niveau jamais été atteint depuis l’indépendance, soit plus de deux ans d’importations !
Aujourd'hui, la croissance dépasse les 5 %. Même le chômage, traditionnelle plaie en Algérie connaît, si l'on en croit les statistiques officielles, une baisse phénoménale : 15,2 % en 2005, contre 30 % en 1999 ! Il continue cependant de toucher durement les moins de 30 ans mais dans le contexte des projets de développement et de construction, les entreprise se remettent à recruter.
Le défi sera de transformer cette nouvelle richesse en croissance durable, pour permettre à l'ensemble des Algériens d'en profiter, ce uni pour le moment est loin d'être le cas. Selon le PNUD, près de 12 millions d'entre eux (sur une population de 32 millions d'habitants !) vivent avec moins de 2 dollars par jour.
Le plan quinquennal de soutien à la relance économique (PSRE) prévoit un investissement de près de 60 milliards de dollars pour 2005-09. Des projets de barrages, de stations de dessalement, s'ajoutent ainsi à la relance de chantiers en souffrance, comme le métro d'Alger (en cours de finalisation), les chemins de fer, le nouvel aéroport d'Alger. Le projet de construction de un million de logements d’ici à 2009 sera certes impossible a réaliser dans les délais mais de nouvelles habitations n'en sont pas moins construites, notamment par des entreprises chinoises (main d'œuvre comprise…).

A côté de cette embellie, des décisions importantes ont été prises l'an passé pour moderniser l'économie, voire initier un début de transparence. Le capital social minimum exigé pour les sociétés d'importation et les banques a été relevé. La réforme bancaire a été relancée (cf. encadré). Le marché algérien s'est ouvert à la grande distribution, ce qui devrait révolutionner les vitrines de ce pays des supérettes et d'épiceries, ainsi que les modes de consommation. Après la chaîne du groupe algérien Blanky, c'est au tour de la chaîne française Carrefour d'avoir inauguré en janvier 06 son premier magasin en Algérie. De son côté, Cetelem, filiale de la banque française BNP Paribas, prévoit d'investir en masse le créneau du crédit à la consommation dans le pays.