Fiche Pays : Tunisie 2008

Jeune Afrique, Hors-série Etat de l'Afrique 2008, Mars 2008
(version originale de l'auteur)

Le Président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali a fêté en 2007 ses deux décennies de pouvoir et, si l'on en croit les slogans scandés depuis des semaines par les militants du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, au pouvoir) ou les ministres qui déjà sillonnent le pays pour promouvoir sa candidature, c’est bien un cinquième mandat de cinq ans qu’il s'apprête à briguer en 2009. Pourquoi s'arrêter en si bon chemin en effet ? Le régime arrête-t-il ses opposants politiques ? Censure-t-il la presse ? Restreint-il l’usage d’Internet ? Qu'à cela ne tienne, le président sortant/restant fait déjà des promesses : la censure et les interdictions de publications seront « du seul ressort de la magistrature »; le contrôle «administratif» sur le livre, les publications et les œuvres artistiques est supprimé; le code électoral sera amendé pour abaisser l’âge minimum de l'électeur de 20 ans à 18 ans et permettre à l'opposition de briguer 25% des sièges de la Chambre des députés et des conseils municipaux, (contre 20% actuellement); le nombre des bureaux de vote sera réduit pour accroître le nombre des observateurs; le montant des subventions budgétaires aux partis représentés au Parlement va doubler, celles octroyées à leurs journaux vont sensiblement augmenter.
Que reste-t-il en réalité de cette presse émergeante et des embryons de partis politiques qui existaient encore dans les années 1980 ? On ne compte plus aujourd'hui que des partis de complaisance et des organisations affiliées au régime. Le culte de la personnalité est de rigueur avec un président élu systématiquement à plus de 90%. Il y a en outre peu d'exemple au monde de parti aussi tentaculaire que le RCD. Avec ses deux millions d’adhérents, ce dernier rassemble à lui seul 20% de la population. En l'absence de justice prévisible et indépendante, de liberté d’expression, d’organisation et d’association, dans un environnement répressif et fermé, le tout nouveau et premier syndicat des journalistes tunisiens aura du pain sur la planche s'il espère changer le cours des choses.
Le bilan économique en revanche est globalement positif, de l'aveu-même des détracteurs du régime. Le pays jouit d'une relative paix sociale et contrairement à la Chine, la bonne santé économique ne cache pas de misère sociale. Avec une croissance de 6,3% la Tunisie a dépassé son objectif de 6,1%. Entre 1995 et 2006, le PIB a augmenté de 4,8% par an en moyenne et de 5,4% en 2006. La tendance est à la hausse.
Cette croissance s'explique d'une part par la dynamique consommation intérieure, alimentée depuis 2002 par les crédits a la consommation. Près de 80% de Tunisiens sont aujourd'hui propriétaires de leur logement. La plupart possèdent une automobile et sont équipés en électroménager. La classe moyenne, car il y en a une en Tunisie, contrairement à d'autres pays voisins, vit certes au dessus de ses moyens et l'endettement est décrié par les observateurs. Mais cette consommation joue un rôle primordial dans le dynamisme économique du pays. Enfin, le taux moyen d’endettement avoisinerait 40%, ce qui reste absorbable, comparé à celui de nombreux pays riches ou à revenu intermédiaire, parfois supérieur à 200%.
La croissance tunisienne est également stimulée par les services, notamment les telecommunications (centres d'appels, téléperformance), mais surtout par les exportations. L'industrie textile (un quart des exportations) a retrouvé une meilleure compétitivité, mais aussi les composants automobile et aéronautiques. La Tunisie a joué très tôt la carte d’entreprises offshore totalement exportatrices (2703 sociétés dont plus de la moitié 100% étrangères) dans un environnement défiscalisé. L’arrimage du dinar sur l’euro et la dépréciation contrôlée de 5% par an a contribué a la bonne résistance de ces exportations.
Le déficit commercial se réduit avec un taux de couverture à près de 80% en 2007. Depuis le 1er janvier 2008, la Tunisie constitue en outre une zone de libre-échange avec l’Union européenne pour les produits industriels.
Le tourisme, pour sa part, la deuxième source de recettes après le textile, a rapporté 1,7 milliard d'euros (+3%) avec 6,7 millions de visiteurs en 2007. La clientèle est composée essentiellement de Libyens (1,5 million), de Français (1,34 million) et d'Algériens (950 000). Le secteur touristique offre toutefois un panorama contrasté, trop centré autour du balnéaire, trop saisonnier et dépendant des tours opérateurs qui vendent des package peut lucratifs. L'Etat essaie actuellement de rénover et diversifier son produit autour de projets haut de gamme : thalasso, golfe, désert, plus générateurs de devises.
Plus généralement, les équilibres financiers externes de la Tunisie sont maîtrisés. La privatisation partielle de Tunisie Télécom en 2006 a rapporté environ 2,3 milliards de dollars et permis de faire passer ses réserves en devises de trois à plus de cinq mois tout en remboursant une partie des dettes nationales. La Tunisie a réussi en outre à réduire pour quelques années sa dépendance énergétique, en remettant en service certains gisements pétroliers dans un contexte de hausse des prix.
Fort de sa crédibilité financière qui lui donne accès au marché financier international, le gouvernement lance de nouveaux projets, comme la création d'un marché boursier spécifiquement dédié aux petites et moyennes entreprises, et surtout la construction d'un nouvel aéroport à Enfidha (75 km au Sud de Tunis) d'une capacité d'accueil de 5 à 7 millions de passagers. La ville d'Enfidha est également appelée à devenir un pôle industriel et commercial tandis que le gouvernement s'est engagé à investir 380 millions de dollars pour la première phase d'un gigantesque port situé à proximité : un terminal à conteneurs d’une capacité annuelle de 5 millions d’EVP (3 600 m de quais) et un terminal polyvalent d’une capacité de 4,5 millions de tonnes sur 1400 m de quais. L'année 2008 sera donc celle du démarrage effectif de plusieurs grands projets, dont une majeure partie repose sur des investissements du Golfe (cf encadré).
Faiblement doté en ressources naturelles le modèle économique tunisien est indiscutablement réussite. Le gros effort porté sur la formation des gens y est pour quelque chose au point que la Tunisie exporte de la main d’œuvre qualifiée (électronique, ingénierie, informatique). Sur le plan social, on ne pourra pas reprocher à l'Etat de s'être désengagé, bien au contraire. L'action du fameux Fonds de Solidarité Sociale (26/26), évaluée à 1% du PIB, comparée à l’ensemble des dépenses sociales (19 à 20% du PIB), relève certes davantage de la propagande sociale. Mais la Tunisie consacre 8,1% de son PIB à l'éducation, soit le double de la moyenne mondiale. Près de 90% de la population est couverte par la sécurité sociale, contre près de 40 % au début des années 1980.
Le taux de chômage reste cependant parmi les plus élevés du monde avec plus de 14%, notamment parmi les jeunes diplômés. Quand ils trouvent un emploi, ces derniers sont souvent affectés à des postes subalternes, sous-rémunérés, frustrés, tandis que la qualité du système éducatif se détériore. Le système administratif sombre en outre dans le clientélisme et se base moins sur le mérite que sur l'affiliation au RCD. La corruption gangrène l’économie, au point, que les commerçants en intègrent les surcoûts dans leurs factures.
Côté secteur privé, on compte une vingtaines de groupes, sous forme de conglomérats pas toujours très cohérents ni recentrés sur une activité dominante (industrie, distribution, banque), notamment les trois "champions" nationaux comme Poulina, Mabrouk et UTIC (Ulysse Trading and Industrial Companies), ajoutés, selon Maghreb Confidentiel, à de plus modestes comme Bayahi, One Tech, Mzabi, Bouricha, Ben Yedder, Chakira, Med Business Holding de Imed Trabelsi etc. Ces familles présentes dans le paysage depuis des décennies ont une véritable emprise sur l'économie tunisienne.
Le niveau et la qualité de vie générale de la population est indéniablement plus élevée que dans les pays voisins. Mais désintéressés et déçus par l'évolution de leur environnement politique, les Tunisiens se concentrent sur leur vie privée et se réfugient parfois dans la sphère religieuse, réponse politique à la répression et réponse morale à la corruption. Combien de temps le citoyen se satisfera-t-il encore du « mange et tais-toi » ?
Nathalie Gillet

ENCADRE :
La Tunisie aussi attire les investissements du Golfe

L'année 2007 a été marquée par une croissance rapide des investissements en provenance du Golfe. Déjà, l’acquisition de 35% de Tunisie Télécom par Tecom-Dubai Investment Group (filiale du groupe Dubaï Holding), avait fait des Emirats Arabes Unis le premier pays investisseur en Tunisie pour l’ensemble des 15 dernières années, avec une part de 26,3%.
Ces investissements ont encouragé le gouvernement tunisien à lancer de nouveaux projets au cours des cinq prochaines années, pour un coût total estimé entre 45 et 60 milliards de dollars. Le plus significatif d'entre eux est "Century City" (14 milliards), une cité nouvelle haut-de gamme, portée par l'émirati Sama Dubaï, filiale de Dubaï Holding. Qualifié de « projet du siècle », il va transformer les berges du lac sud de Tunis sur 830 ha, avec entre autres une nouvelle marina, un centre commercial et des prestations facilitant le commerce et le tourisme international.
Le groupe émirati Boukhater projette également de construire une cité sportive à Tunis, avec un complexe immobilier et des facilité de santé, pour un coût de 5 milliards de dollars. Le Qatar s'est également engagé à construire une raffinerie au sud de Tunis pour 2 milliards. Enfin, Gulf Finance House, une banque islamique d'investissement basée à Bahreïn, prévoit d'injecter 3 milliards de dollars pour la création dans la banlieue de Tunis d'un centre financier offshore d'ici 2010.
NG

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